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Suu remonte les rues, les poings serrés. Il lui est impossible de réfléchir à quoi que ce soit de rationnel. Son cœur est en miette et chaque morceau brûle au cinquième cercle des Enfers. 

Dans un éclair de lucidité une réalité la frappe soudain : elle n'a aucune piste. Où aller ? Où s'est enfui cet enfoiré de meurtrier ? La rage tambourine dans ses veines quand une voix de femme âgée lui suggère :

— Je pense qu'ils se sont rendus à droite.

Elle sursaute et tourne la tête : personne.

— Moi je dirais plutôt à gauche, propose une voix fluette dont on ne saurait dire si il s'agit d'un jeune garçon ou d'une jeune fille.

Suu fait plusieurs tours sur elle-même, lampe torche à la main, pour essayer de trouver qui lui parle d'aussi près. Bientôt un sentiment d'angoisse se mêle à sa colère : devient-elle folle ? 

— Vous faites peur à cette pauvre femme... soupire une voix masculine.

Les mains de Suu se mettent à trembloter : il n'y a personne et trois voix distinctes lui parlent.

— Qui est là ?! crie-t-elle de sa voix rauque.

— Par les dieux elle n'est vraiment pas vive d'esprit, soupire la vieille.

— Mais taisez-vous bon sang, râle l'homme, vous n'arrangez rien. Laissez-moi faire, il se racle la gorge. Madame Yenka, je présume ?

Suu plaque son dos contre un mur de la ruelle, ses lèvres pâlissent de panique. La voix masculine poursuit sur un ton plus tendre pour tenter de la rassurer :

— Vous n'êtes pas folle : nous ne sommes pas dans votre tête, mais dans vos mains. Je comprends que cela puisse vous perturber, surtout dans l'état émotionnel dans lequel vous vous trouvez en ce moment.

Suu regarde la lampe torche dans sa main droite : petite, en plastique sombre, rien d'étrange. La dague ténébreuse semble, quant à elle, très ancienne : sa lame est en pierre noire et son pommeau en os est orné de sculpture de crânes. Le collier qu'elle a saisi sans trop savoir pourquoi est serti d'une roche violette. Elle luit légèrement malgré la pénombre. Son intellect cartésien est divisé entre la rationalité et le surnaturel.

— Vous êtes quoi ?! Ou... qui ?! Sa gorge est serrée par les émotions conflictuelles qui l'ébranlent.

— Je me présente, poursuit-il, on m'appelle Lufu et je suis le collier que vous tenez. Je viens de Ta-Seti, un ancien royaume d'Afrique de l'Est.

— Moi c'est Maxime ! S'empresse de répondre la voix la plus jeune, je suis dans la lampe  regarde !

Cette dernière se met à grésiller dans la main tremblante de la femme.

— Seuls les mortels initiés ont le droit de connaitre mon nom, tonne la plus âgée.

Suu en déduit que c'est la dague, dont la lame se met à luire d'un éclat vert malveillant.

— Je vais t'appeler « la vieille » ! s'exclame Max.

— Tu n'oserais pas... !

La voix enfantine répète une bonne dizaine de fois ce surnom avant que Suu ne hurle un « La ferme ! » exaspéré. Elle a besoin de s'assoir : son dos glisse le long la paroi jusqu'à ce que ses fesses se posent sur le bitume. Le souffle court, Suu essaie de remettre en ordre ses idées, et cette situation... inattendue, le terme est faible.

— Vous... avez vu qui a tué mon époux ? demande-t-elle les larmes à nouveau au bord des yeux.

— « Voir » est un grand mot, répond Lufu, nous percevons le monde qui nous entoure différemment et...

— Vous ne me servez à rien, coupe sèchement Suu.

Lufu comprend que la jeune femme est à bout, exaspérée. Colère et confusion bouillonnent ensemble dans son cerveau. Il se montre patient :

— Nous pouvons être utiles.

— Oh oui ! Moi j'ai vu leur âme ! Je saurais la reconnaitre partout même s'ils se déguisent ! s'exclame la lampe.

Suu relève la tête, consciente qu'elle parle dans le vide mais elle n'est plus à ça près.

— « Ils » ? Ils étaient plusieurs ?

— Quatre, dit fièrement Max.

— Nous aussi on voit les âmes, pas de quoi fanfaronner, ronchonne la vieille, ils avaient un tatouage spirituel : un serpent.

— Ce sont des âmes damnées. Ils doivent obéir à quelqu'un... pense tout haut Lufu.

La colère reprend l'aplomb : un indice ! Mais comment l'exploiter ? Marcher des heures en ville en espérant tomber sur eux ? Ça n'a pas de sens... tout comme cette quête de vengeance. Suu serre les dents : non, elle ne peut pas trouver la paix. Elle saisit son téléphone. La police ? Un ricanement intérieur la secoue de spasmes. Suu met son smartphone en silencieux pour ne pas être joignable. 

— Vous vous dégonflez ? demande la vieille en sentant l'hésitation chez sa porteuse.

— Non, je ne pourrais pas rentrer en paix et dire à ma fille que je n'ai pas tout tenté pour venger son père.

— J'aime cet état d'esprit : vous remontez dans mon estime païenne.

— Je ne sais pas s'il est sage de l'encourager dans cette voie, dit Lufu inquiet, mais je dois avouer que ce meurtre m'a bouleversé... et un désir de justice m'obsède aussi. Tonton a toujours été un homme qui prenait soin des âmes perdues dans sa boutique.

— Moi je l'aimais bien tonton Yenka ! C'est lui qui m'a trouvé dans la forêt. Si je pouvais pleurer, je le ferais !

— Nous sommes tous avec vous dans ce cas, Suu, conclut Lufu.

La jeune femme se redresse et gonfle sa poitrine d'un nouveau souffle. Soudain, elle a une idée, et sa nature la surprend en tant que non-initié au Vaudou.

— Allons voir une prêtresse : elle connait peut-être ce tatouage spirituel.

— Excellente idée ! s'exclame Lufu.

Suu sent le collier trembler un peu en signe d'enthousiasme. Elle planque la dague sous son blouson, la lampe dans sa poche et enfile le collier à son cou. Rapidement sur son téléphone, elle trouve une adresse en cherchant sur internet. Puis, accompagnée de ses drôles de compagnons, elle prend la direction du quartier Bywater à l'est du Carré français. 

Sur le chemin, les rues désertées par l'heure tardive donnent un étrange sentiment d'insécurité à Suu. Au loin, des nuages noirs et grondants, s'agglutinent dans des reflets bleutés. Un puissant orage arrive. Les habitants qui ne dorment pas encore ferment leurs volets d'un claquement.

— Cet orage me semble bien étrange, murmure Lufu.

— Oh ne me dites pas que vous avez peur des éclairs ? Se moque la vieille.

— Moi j'ai peur ... pleurniche Max qui tremble dans la poche arrière de Suu.

La jeune femme ne dit rien et plisse les yeux pour observer les nuages. C'est vrai qu'ils sont inhabituels, les stries des éclairs se déchainent à l'intérieur.
Mais Suu ne pense qu'a retrouver les assassins : cette tempête est le cadet de ses soucis.

 Mais Suu ne pense qu'a retrouver les assassins : cette tempête est le cadet de ses soucis

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Yenka ! [Urban Fantasy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant