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— Est-ce que tu veux une boisson chaude ? Résonnait une voix dans la pièce.

Le corps de Suu était endolori, mais elle se souvient que la nausée et les spasmes de la veille avaient disparu. L'homme debout était celui qui l'avait mise dans ce lit aux draps sentant la lavande.

Ça aussi, elle s'en souvient parfaitement. Tout comme ces yeux gris et tendres qui l'observaient sans aucun jugement.

Son cœur bat une première fois.

C'était la première fois qu'elle le rencontrait. De taille moyenne, plutôt svelte, son visage anguleux aux traits vifs dessinait une expression pétrie de gentillesse.

— Qu'est-ce que je fous là ? avait-elle répondu.

— Tu as fait un malaise, il s'était doucement assis sur le bord du lit. Je t'ai retrouvée inconsciente dans une allée à Seventh Ward, et pour t'éviter des ennuis j'ai préféré m'occuper de toi plutôt que d'appeler les secours. Je m'appelle Matis Yenka.

C'était l'époque, révolue, où Suu fréquentait d'anciens amis de la Fac, tombés dans la consommation et le trafic de stupéfiants. L'argent facile avait séduit les étudiants : elle n'avait pas fait exception. Les problèmes de santés, la dépendance, les bagarres de rues faisaient parti de sa vie.

— Tiens, il lui tend une énorme tasse, j'ai préparé ça pour t'aider à aller mieux.

Suu se rappelle de la chaleur diffuse de la tasse en argile, du parfum d'épice et enfin du goût que ça avait. Un grog sans alcool avec du café : surprenant.

Depuis ce jour-là, Suu n'eut plus envie de toucher à la drogue. Comme si Matis avait dissipé sa dépendance. C'était une opportunité pour elle de ne pas replonger, et l'a saisi.

Elle se souvient être revenue ensuite dans sa boutique, prétextant lui rendre service en lui ramenant des ingrédients, ou faire une livraison en ville pour lui. Le charme et la bienveillance de Matis étaient son refuge, et il ne lui fallut pas longtemps pour tomber amoureuse.

— Mes parents ne sont pas d'accord qu'on sorte ensemble : ils te trouvent trop vieux et pensent que tu es un sorcier.

Matis avait éclaté de rire. Ils avaient 14 ans de différence. Lui avait déjà été marié une fois. Une union dont il ne voulait pas parler. Suu avait 26 ans à cette époque.

— Alors que c'est plutôt ta famille qui devrait me détester, avait-elle dit en perdant son regard sur l'horizon, je n'ai pas vraiment d'avenir, ni les qualités d'une bonne épouse, et je ne suis pas croyante...

Le soleil se couchait sur la plage. Main dans la main, les amoureux marchaient d'un pas tranquille.

— Pourquoi dis-tu ça Suu ? Je pourrais dire tant de choses qui font que je suis avec toi. Et ce n'est pas pour ta jeunesse, il riait, tu es une femme courageuse, inflexible, un esprit libre. Et même si tu ne les entends pas : tu impressionnes mes ancêtres.

Elle se souvient avoir rougit et baissé la tête.

— Depuis quand te préoccupes-tu du regard des autres ? avait-il demandé, inquiet.

— Depuis que... j'ai envie de ne jamais lâcher ta main.

C'était à cet endroit, à ce moment, que Matis s'était penché sur le sable pour ramasser un joli coquillage avant de se mettre à genoux devant elle.

— Tu accepterais d'épouser un vieillard comme moi ?

Son cœur bat une deuxième fois.

Suu se souvient d'avoir ri, avant de comprendre qu'il était sérieux. Ce jour-là fut probablement celui où sa bouche avait dessiné son plus beau sourire. Elle avait dit oui bien sûr : ça lui trottait en tête depuis quelques semaines. Lui aussi et ça l'avait surprise, car elle était persuadée qu'il avait peur de se tromper.

Ils se sont épousés sans l'accord de leur famille. Les invités et témoins étaient des amis, des habitants du quartier reconnaissant pour tout ce que faisait Matis pour eux. Un mariage intimiste sous la bénédiction des anciens et des Loas. Suu se souvient du magnifique costume que portait son aimé, son sourire, ses mains qui enfilent l'anneau à son doigt, leur baiser sous l'œil des observateurs spirituels et humains.

Son cœur bat une troisième fois.

— Elle a ton nez, avait-elle dit en posant son regard sur le minuscule visage de sa fille.

Être maman, ce n'était pas quelque chose qu'elle avait imaginé dans sa vie. Mais quand elle avait su être enceinte à 29 ans, c'est tout son monde qui fut chamboulé. Matis l'a laissé décider, l'a accompagné, rassuré, soulagé. S'il ne pouvait pas être le père de ses enfants, personne d'autre ne le pouvait.

Le souvenir de sa petite Sam dans ses bras lui fait battre le cœur pour la quatrième fois.

Lorsque ses poumons se regonflent, elle se tétanise. Suu a l'impression de revenir d'une longue apnée. Son regard paniqué se pose partout.

La nuit est noire, constellée par les lucioles. La lune projette son reflet sur des arbres aux troncs noueux et une eau trouble : les marais. Des stèles anciennes, recouvertes de mousse, se dressent çà et là.

— Mes dieux ! J'ai vu mon existence défiler, j'ai cru que j'étais réellement... « morte »!

Suu est presque rassurée d'entendre la vieille dague.

— J'ai également revécu mon histoire, dit Lufu dont la voix trahit sa confusion, c'est étrange de se souvenir que j'étais une divinité autrefois.

— Oh cessez de vous la raconter : maintenant, vous n'êtes plus qu'une âme enfermée dans caillou.

— Comment vous vous sentez ? demande Lufu à Suu pour changer de sujet.

— J'ai... moi aussi... sa gorge se serre et plus aucun mot ne sort de sa bouche.

— Et toi Max ?... Max ? Interroge Lufu inquiet de ne pas l'entendre.

— Je suis là... dis la petite voix ténue.

Les esprits adultes comprennent que la lampe ne va pas bien.

— Si tu as besoin de parler... tente Suu.

— Ben... je me souvenais plus trop comment je suis devenue une lampe, j'ai revu le monsieur que j'ai rencontré quand j'ai fugué.

Un frisson d'horreur fige Suu.

— Il m'a fait des choses bizarres qui faisait mal, Suu a envie de vomir. Puis il m'a serré le cou et je me suis endormie, sa petite voix tremble comme si elle voulait pleurer, j'avais peur de mourrir alors je suis allé vers la lumière parce que maman disait que c'était le paradis.

Un terrible malaise saisit le groupe. Même la vieille dague ne dit rien. Que dire de Lufu et Suu, profondément choqués par ce qu'ils viennent d'entendre. 

— Je te trouverais Max, ainsi que ce... Suu serre les poings, ce psychopathe.

Peut-être est-il en prison déjà, peut-être que le corps de Max a été retrouvé depuis, mais elle doit en avoir le cœur net une fois sa vengeance accomplie.

Suu se relève douloureusement. Elle se demande comment elle a pu atterrir ici et survivre au maléfice de Vahere.

Soudain, des ricanements lugubres résonnent dans le cimetière abandonné où le groupe insolite se trouve. 

 

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Yenka ! [Urban Fantasy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant