Sortir

74 3 19
                                    


 


-Alors tu ne me sers plus à rien.

Un frisson de stupeur. L'entité tente à échapper aux lassos qui l'enserrent ; l'ombre l'emprisonne d'abord, puis le brise. L'être se fend, par là même son identité s'éteint. L'énergie accumulée en lui, libre du joug de l'esprit, devient sienne : il la boit et le fluide emplit son corps d'une chaleur intense. L'ombre sent sa matière muter. Envahit par une sensation de puissance toute nouvelle, il lui faut un moment avant de revenir à la réalité. Lorsqu'il reprend conscience, il se tient toujours debout devant la stalle, la coupe git brisée plus loin, le fin faisceau lumineux a été remplacé par en un trait de lumière intense. Le jour s'est levé.

Je dois sortir d'ici. pense t-il.

La grotte s'illuminant de plus en plus, alors qu'il avance dans les couloirs labyrinthiques, il peut enfin distinguer son corps. D'un drapé diaphane, il n'est qu'un être vaporeux, composer d'une brume noire. Son corps pourtant humain est translucide, et s'il semble qu'il puisse toucher les choses, ces doigts s'enfoncent lorsqu'ils s'appuient contre les parois. Il lui semble même, qu'avec un peu de persistance, il pourrait s'y fondre complètement. Bien sûr, s'il est curieux, il n'ose pas pénétrer plus dans la roche, de peur de si perdre.

Abeleyn tourne longtemps dans la caverne, en vain. Tout ce ressemble, se perd, incapable de s'orienter seul dans cet entrelacs de galeries minérales.

-J'aurais du demander à l'esprit, pense t-il.

Mais il chasse l'idée.

-Ce qui est fait est fait.

Les heures passent d'abord, puis les jours. Et l'ombre, qui ne s'inquiète que de sortir, prend tout à coup conscience d'une réalité : il n'a pas faim. Il ne ressent aucune sensation de manque, de douleur, rien pour lui rappeler son humanité passé. Car il en est sûre, il était et reste humain ! Maudit. Mais humain. Alors, où sont-elles, ces preuves de faiblesses ? Ni faim, ni fatigue, et il en est convaincu, pas de douleur. Il erre dans les tunnels sans que rien n'altère son enveloppe.

Un vent de panique le saisit. Et s'il reste coincé là ? Immuable ? Immortel ? Comme un esprit errant sans but ? Chaque cellule de son corps se révolte devant l'idée, il sent un fourmillement remonter le long de sa colonne. Animé d'une énergie nouvelle, il s'élance avec ardeur dans de nouvelles galeries, de nouveaux couloirs...

vhhhh....

Il s'arrête. il sent sur lui une petite brise qui traverse son corps : enfin ! Abeleyn s'élance, la lumière apparait de nulle part. Il court d'un pas flottant vers ce qu'il croit être la sortie. La caverne brille de mille feux, les cristaux qui tapissent les parois sont comme les millions de facettes d'un gros diamant. Il ne pensait pas découvrir un tel spectacle au milieu des profondeurs.

Tout à coup, il flanche : la force de quelque chose en lui le tire invraisemblablement vers le sommeil ; il perd conscience. La sensation de couler profondément, de ne plus ressortir. Lourdeur. Piégé, immobile.






-Tu n'aurais jamais du me provoquer, Abeleyn.

Qui est-ce ?

-Ne m'appelle plus jamais comme ça !

La voix est familière... C'est moi ?

-C'est pourtant bien comme cela que tu t'appelles ! Abeleyn le Rouge, Abeleyn le Cruel ! Abeleyn le Régicide ! ...

-Tais-toi !

-Et j'en passe, Abeleyn. J'en passe.

Une larme coule sur la joue de l'homme, sur sa joue.
Et la sorcière ? Qui est-elle ?

Qui est-elle ?

Il devrait la reconnaitre, il en est persuader. Mais plus il force sur lui-même, et plus la vision s'efface. Les silhouettes se brouillent comme deux gouttes d'encre dans du lait. La voix devient un murmure, puis plus rien.





Un souvenir ?

Abeleyn sent son corps toujours lourd. Avec un effort surhumain, il ouvre ses paupières noirs, lentement. Dans la caverne, les mêmes pierres luisent, la pièce semble illuminée comme en plein jour.

Qu'est-ce qu'il m'est arrivé ?

La caverne s'étant devant lui, irradiante. Il tente de se relever, mais une étrange lenteur l'empêche de bouger comme il faut. C'est là qu'il se rend compte : sa main ! Elle est normale ! Se relevant avec peine, il redécouvre son corps...humain. Les parois lui renvoient son reflet ; des cheveux bruns encadrent son visage d'homme tanné par le soleil, des yeux noirs crèvent sa peau. De taille moyenne, Abeleyn pourrait être n'importe qui, a part peut-être pour cette cicatrice étrange qui longe son torse, son cou et sa joue gauche. Mais qui est-il ? A présent qu'il connaît son apparence, il ne peux s'empêcher de se demander qui se cache derrière l'éoldien. Qu'avait il fait ? Régicide ? on l'a appelé ainsi. Pourquoi est il transformé ? l'a t-elle maudit ? Il regarde son corps une nouvelle fois. Et pourquoi est-il redevenu humain ?

Nu comme un ver, Abeleyn explore la pièce éclairée, jusqu'à découvrir une fissure dans la paroi, l'origine du courant d'air et la promesse d'une sortie. Mais au moment de partir, il remarqua une pierre étrange sous une arche de verre polie : planté dans un socle minérale se dresse une lame irrégulière. De la même matière translucide que les murs de cristaux, la pierre effilée est irisée de reflet turquoise et améthyste. Il la saisit, et la lame se retire avec aisance de la pierre. Des glyphes étranges recouvrent l'objet et intrigue l'ancienne ombre. L'homme prend l'arme et s'engouffre dans la fissure, bientôt, une réelle lumière apparait. Abeleyn a retrouvé le monde extérieur.


Abeleyn obtient une lame étrange.



Plissant les yeux, Abeleyn quitte les grottes sans aucun regret. Mais au moment même ou il sort, un sifflement le fait se coucher à terre. Une flèche se brise sur la roche derrière lui. L'homme par instinct saisit la pointe brisée et se plaque contre la paroi. Son esprit réfléchit à toute vitesse.

Où ? Qui ? Combien ?

Entre deux rochers, Abeleyn a juste le temps d'entrevoir un archer de l'autre côté de la carrière, qu'une lame fend l'air pour atteindre sa tête. Mais au moment où elle aurait du trancher la chair, elle se brise sur la paroi derrière lui. L'ombre sent encore ses muscles vibrer là où la lame à traversé son corps. L'opposant écarquille les yeux, Abeleyn en profite et plonge : roulant sur lui même, il projette son talon sur la main qui porte l'arme, elle tombe plus loin. Dans son élan, il saisit l'homme au cou et enfonce la pointe en pierre dans sa gorge. Le guerrier succombe. Abeleyn se dissimule de nouveau derrière la roche, et analyse un moment le cadavre : il porte un manteau de mercenaire et une épée éoldienne, son visage est recouvert d'un tatouage sophistiqué, qu'il n'arrive pas à reconnaitre. Il lance un regard vers l'archer mais il a disparu, sans doute pour prévenir quelques renforts... Pourtant, sa perception accrue sous l'action, ses yeux suivent une silhouette invisible à travers les obstacles minéraux : ils sent en lui monter cette énergie nouvelle dont il s'est emparé.



Je ne peux pas le laisser s'enfuir. Se mettre en chasse, Abeleyn a un archer à interroger...

Abeleyn (une histoire dont vous êtes l'associé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant