La guerre

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Elle était épuisée et le sommeil n'y changeait rien. Elle était épuisée physiquement et mentalement. Enfin surtout mentalement. Au début elle avait tenté de dormir. Mais à chaque fois les cauchemars revenaient. Alors depuis elle fuyait le sommeil. Elle faisait tout pour tenter de rester éveillée. Parce qu'à chaque fois que ses yeux se fermaient, l'horreur reprenait le dessus sur le repos.

On ne parle pas souvent des traumatismes liés à la guerre. Encore moins de la santé mentale des survivants. On parle beaucoup des pertes, du coût de la guerre, des territoires perdus. Mais jamais de ce que les survivants ont perdu de leur humanité. Les livres d'histoire ne nous apprennent pas ça. A la place on nous inculque la violence des combats et encore.

Non on ne parle pas des survivants parce qu'après tout eux ils sont encore vivants. Car même si la plupart est déjà morte mentalement, il en existe d'assez forts pour surmonter leurs traumatismes.

Elle, elle était piégée entre ces deux catégories. À la fois se sentant morte et pourtant ayant cette étincelle au fond d'elle qui la forçait à se maintenir en vie.

Elle ne savait ce qui avait été le plus dur pour elle, voir ses compagnons mourir ? Sa famille décimée ? Son chien se sacrifier pour elle ? Ou bien se voir lever une arme face à quelqu'un pour se défendre ?

Elle ne savait ce qui était le pire. Dans le fond c'était peut-être tout. Elle ne savait pas. Parce que la seule chose qu'elle connaissait maintenant c'était la douleur et surtout la peur. Mais pas la peur des autres, non. La peur de ses souvenirs et aussi la peur d'elle-même. Elle ne savait pas de quoi elle était capable. Elle ne savait plus de quoi elle était capable. Elle avait volé la vie de quelqu'un.

Certains diront que c'était pour se défendre. La vérité c'était qu'elle avait laissé la peur la contrôler. L'autre ne lui avait rien fait et il était mort. Par sa faute.

Au fond elle était comme ceux qu'elle avait tant haït en voyant son monde s'effondrer par leur faute. Elle aussi elle avait détruit celui d'un innocent.

Et encore une fois c'était ça la guerre. Personne n'en parle. On retient la violence du clan adverse, la durée des combats, le jour, le lieu et au final des chiffres, toujours des chiffres. On ne retient pas les sentiments. On ne retient pas la terreur, la haine, la tristesse, la douleur ou la soif de vengeance. On ne cherche pas à comprendre les survivants. On leur colle juste une étiquette et on les traite en héros sans savoir ce qu'ils ont fait pour survivre. Et après on s'étonne quand l'un d'eux part en vrille et tue des dizaines de personnes en pensant que ce sont des ennemis. On dit juste que la guerre l'a amoché. Et on en reste là. On pleure les morts puis on oublie.

On ne parle pas non plus des disparus. On ne connaît pas leurs vies, leurs accomplissements, leurs caractères, les choses qu'ils ont vécues. On ne connaît que leurs noms. Et même ça on finit par l'oublier. Parce que dans le fond ce ne sont que des chiffres qui se rajoutent à ceux déjà recensés. Ce ne sont que des traits supplémentaires sur un tableau déjà noirci de pertes. Ouais. Personne ne parle d'eux, seuls les survivants s'en rappellent. Et quand ils osent en parler on leur dit que c'est une réaction post-traumatique, de la démence, que ce sont simplement leurs vieux démons qui refont surface.

C'est ça la réalité de la guerre. Elle elle en avait conscience parce qu'elle l'avait vécue. Mais toutes les personnes qui la croisait n'y comprenaient rien. Pour eux elle était surhumaine, incroyable, elle avait survécu au pire, fait face à la mort sans sourciller. Mais ils ne savaient pas. Ils ne connaissaient rien. Elle avait tué quelqu'un pour s'en sortir. Elle avait mis fin à la vie de quelqu'un pour être ou elle était maintenant. Elle ne se sentait plus humaine. Plus après ce qu'elle avait fait. Elle aurait du mourir ce jour-là mais elle avait lutté. Pourquoi ? Pour essayer d'atteindre un avenir meilleur. C'était son but. Le but de sa vie. Mais face aux cauchemars qui la hantaient il avait vite été détruit, brisé, de la même manière que son esprit l'avait été.

Alors ce soir là tandis qu'elle luttait contre le sommeil comme toujours, elle choisit de sauter sans un regard en arrière. Elle n'avait jamais voulu être une survivante, elle voulait juste vivre et voir la paix être ramenée. Mais elle n'était pas assez forte pour réapprendre à vivre après tout ça. Laissant ses démons l'accueillir dans leur froide étreinte, elle lâcha une dernière larme avant que la noirceur de la nuit ne l'engloutisse à jamais, réduisant son étincelle au néant.

***

Je ne vais pas prétendre savoir ce que les personnes victimes de guerres ressentent. J'ai juste cherché à écrire ce que moi j'en pensais. En essayant d'aborder toutes les victimes. Ça peut ne pas paraître réaliste mais c'est ma vision des choses.
Prenez soin de vous.
Nuggetsdelanuit.

Recueil d'OS en tous genresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant