L'affront

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Dans ce monde tout est une question d'équilibre. Le bien versus le mal, la lumière et les ténèbres. La vie et la mort.

Je suis la mort. Ou du moins ce qui se rapproche le plus de cette dernière dans les croyances populaires. Ces murmures, que je perçois de manière si familière à travers mes ombres à mon passage dans les couloirs du château alors je n'étais qu'une enfant. Ces pairs d'yeux qui se détournent, ces souffles de vie retenus lorsque j'entre dans une pièce, comme si l'air y avait disparu.

Mais comme dans tout récit, les faits peuvent être modifiés au fil du temps. Raccourcis, embellis, exagérés, il n'empêche qu'une part de vérité réside. Une grande part dans mon cas. Celle qui a signé la fin de mon âme il y a de ça fort...

- Vôtre Majesté, il y a quelqu'un qui aimerait vous voir m'interrompt une personne que je n'ai jamais vue dans le château

Mes ombres se déploient sans que je n'ai à réfléchir, elles glissent sournoisement sur le sol en marbre noir s'insinuent autour des membres de l'intrus, effleurent son torse frêle et finissent malicieusement autours de son cou.

Elles sont moi et je suis elles. Comme un prolongement de mon propre squelette, elles véhiculent ma voix, sentent, touchent et les sensations me sont transmises instantanément. Je le sens frémir, se décontenançant devant ces formes divinement sombres. Son pouls pulse bien plus vite lorsqu'elles effleurent le trajet de sa carotide, de sa vie. De fines particules de sueurs s'accumulent sur son épiderme, gorgées de peur.

Ce sentiment qui m'est inconnu et qui me fait défaut. Je jubile, j'ai l'impression de pouvoir la ressentir, comme si elle pouvait un jour faire à nouveau partie de ma vie. Hélas je ne l'ai plus côtoyée depuis longtemps, ce qui me pousse à la chercher partout où je peux me la procurer et cet individu ne fait pas exception.

Voilà une partie de la vérité que les contes narrent à mon sujet, je terrorise par plaisir. Pour la satisfaction de ressentir ce que je ne peux plus, ce qui m'a été privé.

- Ton nom murmurent les ombres au creux de son oreille

-.. Alistair dit-il bien plus fort que ce qu'il faudrait, masquant avec difficulté son mal aise

- Approche susurrent-elles tandis que mon visage se part d'un sourire en coin lorsqu'il se rend compte que mes lèvres n'ont pas bougées depuis le début de l'échange.

Il a compris. Ou il croit devenir fou, ou bien serait-ce les deux. Parce que comment ferais-je pour communiquer sans me mouvoir. Ce qu'il voit est-il bien réel ? Dans quelle réalité ces entités pourraient-elles communiquer.

Je l'imagine se poser toutes ces questions légitimes dans ce royaume où les ombres sont maîtresses.

Quiconque entre dans mon univers se doit de les connaître, d'avoir entendu parler de la Reine des ombres. Du moins, il me semble que c'est le dernier titre par lequel on m'affuble, bien que je préfère le précédent, la reine des Ténèbres. Bien plus proche de la réalité. Cette inquiétude sur son visage m'indique qu'il doit être nouveau dans la cour et que malheureusement pour lui, les instructions qu'on lui a communiqué étaient trop succinctes.

Il ne va pas le faire, je le sais à la manière dont ses muscles se sont tendus, dont sa respiration s'est subtilement accélérée. C'est d'une logique implacable, comme si l'on proposait à quelqu'un de littéralement se jeter dans la gueule du loup. Or la louve s'impatiente et mes ombres empoignent sa nuque, le soulèvent et le ramènent à mes pieds.

Dubitative, ainsi prostré à mes pieds nus je décide de prolonger son calvaire en le hissant sur mes cuisses délicates. Le contact de sa cuirasse sur ma peau nue, ne me provoque même pas l'ombre d'un frisson. Ni même son souffle rapide et chaud si près de mon visage. Un soupir de frustration m'échappe et un filament éthéré vient lui entailler la joue. L'odeur chargée de fer de cette fine goutte de sang me parvient tandis qu'elle s'apprête à descendre le long de son visage, je me penche vers celui-ci pour la...

Ombre solitaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant