Ombre solitaire

La fratrie

Finalement cette semaine de festivité s'achève par une dernière soirée élitiste. Les principaux concernés ont été conviés à un repas dans la plus haute partie du château qui abrite nos quartiers royaux. Prouvant ainsi notre soi-disant confiance envers nos alliés, cette invitation directe dans notre sphère privé, signe tacitement notre loyauté commune. Seuls les représentants directs de la royauté participent à cette soirée d'affaires.

Sur l'immense table trônent les mets traditionnels de Nostria, préparés avec soins par nos meilleurs cuisiniers, mais aussi des spécialités propres à chaque royaume. Attablée au bout du vaste festin qui s'offre à moi, je mange machinalement les plats qui me sont servis. Les aliments m'ont l'air fades.

Il a refusé l'invitation. Ainsi que ses frères. Ou du moins, ils n'ont pas daigné être présents. Son absence me mine le moral. Pour des raisons que je n'arrive pas à cerner. S'il avait été présent, aurais-je pu lui soutirer des informations le concernant ainsi que sur les pouvoirs de sa famille ?

Mon père me fait face, à l'autre bout de la table, entouré de la famille Mori. Son voisin de gauche n'est autre que le roi Mori. Ce dernier jette des regards lubriques dans ma direction, qui ne passent pas inaperçus aux yeux de sa femme qui se trouve en face de lui. J'espère que mon père n'est pas en train de lui garantir une faveur de ma part en échange de la participation de son armée en cas de guerre. Je ne suis et ne serai la maîtresse de personne.

Barbe longue grisonnante, nez aquilin, yeux ternes, il se rapproche plus d'un druide flétri, qu'à un roi. Je ne laisserai plus mon père se servir de moi comme monnaie d'échange.

- On nous a souvent rappelé que notre place était destinée à être celle de la soumise, dans le lit du compagnon qui nous sera attitré. Je doute que cela soit votre cas après ce que j'ai pu apercevoir au tribunal.

Sortant de mes ruminations, je me tourne légèrement vers ma droite, là où est assise la mère de la famille qui me tourmente mentalement depuis le début du repas. A côté d'elle se trouve la malicieuse Rena qui m'adresse un large sourire, avant de retourner à son assiette qu'elle dévore goulûment. Je me questionne encore sur sa capacité à se débrouiller parfaitement bien, pour une personne qui n'a pas la vue.

- Les affaires politiques ont une portée bien plus importante que mes choix en matière de partenaire.

- Allons, ma belle. Nous savons toutes les deux que vous mourrez d'envie de lui retirer ses attributs qui lui confèrent tant d'assurance et de stupidité.

Elle n'a pas tort. Je ne laisserai plus aucun homme profiter de mon corps et celui-ci me rappelle toute la lâcheté dont ces hommes sont capables pour assouvir leur besoin et intérêt.

- Votre Majesté

- Ambérine me coupe-t-elle. Laissons les titres à ceux qui estiment en avoir besoin pour exister.

- Olivia ajouté-je charmée par ses paroles qui font échos à mes principes.

- Quel beau prénom ! En tout cas, sachez que vous pouvez compter sur le soutien de ma famille et de mon royaume en cas de conflit. Nous avons aussi quelques griefs vis-à-vis de l'empire de la Lumière. Si cela peut vous empêcher d'avoir à négocier votre corps avec la famille Mori.

- Je vous retourne le compliment, mais je saurai me démener sans en avoir à arriver là.

Je sens le regard inquisiteur de mon père, m'appelant à bien me comporter avec la famille Karthari, tandis que je replonge dans mon assiette afin de montrer l'exemple.

Les conversations vont bon train. La famille Kori se trouvant non loin, leur fils, Lizeran seul présent à cette soirée, à profiter de l'arrangement de table pour se glisser, en début du repas, sur une chaise voisine à la mienne. Décidément les Karthari ne sont pas les seuls à ne pas être venus au complet. Malgré sa gentillesse manifeste, je n'arrive pas à partager son entrain. Son regard est fuyant, il peine à trouver des sujets de conversations qui me feront m'intéresser à lui. Sa maladresse trahit son inexpérience.