The love theorem

Prologue

La sonnerie retentit à travers toute la maison.

Avec des gestes méticuleux, presque maniaques, la jeune fille referma son livre après y avoir calé un petit marque page métallique en forme de colibri. Elle posa l'objet sur la table basse devant elle, couverture bien visible, puis alla ouvrir.

Derrière la porte se trouvaient deux adultes, une femme et un homme tous deux tirés à quatre épingles. Des envoyés du ministère.

Cela faisait bien longtemps que l'adolescente n'avait pas vu cet uniforme, au moins quatre, non, cinq ans.

Ce fut la femme qui prit la parole la première :

-Bonjour Aya. Vous êtes seule ?

La dénommée Aya se décala du passage :

-Oui. Entrez.

Elle emmena les deux agents jusqu'au salon, où elle s'assit sur le canapé qu'elle venait à peine de quitter. Les deux adultes, eux, choisirent de rester debout.

Après les avoir soigneusement sélectionnés dans le dossier qu'elle avait en main, la femme tendit une liasse de feuilles à Aya : dessus, des textes en caractères minuscules avaient été tapés à l'ordinateur. Certains mots, voire carrément des paragraphes avaient été surlignés en jaune fluo, signe que ces passages étaient les plus importants. Aya les lus en diagonale, saisissant au passage les mots « créature d'origine inconnue », « dangereuse », mais surtout, le terme qui lui sauta le plus aux yeux et qui capta directement son attention fut « tuer ».

La jeune fille arqua un sourcil parfaitement épilé lorsqu'elle arriva à la dernière page, qui était en fait une photo : dessus, un étrange personnage aux apparences de poulpe jaune souriait de toutes ses énormes dents carrées, un large sourire étalé sur sa tête sphérique, rendant ses petits yeux blancs encore plus microscopiques qu'ils ne l'étaient déjà. L'espèce d'extra-terrestre portait une tenue professorale, composée d'une robe noire académique, d'un petit chapeau carré noir avec un gland jaune et une grande cravate de la même couleur, une lune en forme de croissant jaune ornant le dessus. De parts et d'autres du corps de la créature sortaient deux paires de tentacules, avec au bout, ce qui s'apparentait à deux petits doigts arqués vers l'intérieur, comme des pinces.

Détachés, ces éléments n'avaient pas beaucoup de sens, mais mis bout à bout, le résultat avait quelque chose de comique.

Aya releva ses yeux d'un noir d'ébène vers les deux agents, qui attendaient patiemment une réaction de sa part. Une lueur d'incompréhension s'alluma dans ses pupilles. Pas de peur. Juste de la curiosité.

A nouveau, la femme s'adressa à elle, impassible, les mains jointes devant elle, comme si elle allait lui réciter une leçon apprise par cœur :

-Comme vous le savez déjà, lorsque vous aurez terminé votre période de renvoi, vous intégrerez la classe 3° E.

Aya acquiesça, bien que ce geste fut inutile :

-Cette créature, poursuivit la femme en désignant la photo qu'Aya avait toujours en main, sera votre professeur principal. C'est d'ailleurs ce même monstre qui a fait exploser la lune il y a quelques mois.

-Pardon ? l'interrompit l'adolescente en laissant tomber la paperasse à côté d'elle.

Elle avait dit ça avec le sourire de quelqu'un qui se retenait de rire à une bonne blague.

L'agent lissa de ses mains le devant de son uniforme de travail, pourtant impeccablement repassé:

-Je sais que c'est difficile à croire. Alors préparez-vous à la suite. Notre priorité, ainsi que celle des Etats du monde entier est d'éliminer ce monstre qui menace de faire exploser la Terre d'ici un an. Vous comprendrez donc qu'il est primordial pour l'instant de cacher son existence à la population. Malheureusement, sa capacité à se déplacer à Match 20 le rend extrêmement difficile à atteindre.

Elle se tourna vers son collègue, qui sans un mot, lui tendit un revolver et un couteau à la lame faite de caoutchouc.

-Ces armes sont efficaces sur lui, mais complètement inoffensives pour les humains. Elles ont été testées et approuvées par l'Etat, qui les as confiées à l'ensemble des élèves de la 3°E.

Aya la coupa de nouveau :

-Attendez... Quel est le rapport entre les élèves et ce... truc ? demanda-t-elle en jetant un regard en biais à la photo de son futur prof principal.

Ce fut l'homme qui déballa l'affaire d'une traite :

-Comme ma collègue vous l'a expliqué, nous sommes dans l'obligation d'en finir avec ce monstre. Les élèves de la classe 3°E se sont vus assigner la tâche de l'assassiner.

L'information n'eut pas plus tôt fait de faire le tour du cerveau d'Aya que la femme approuva :

- Pour l'instant, un seul est parvenu à lui arracher un tentacule. Je ne vous cache pas qu'il s'agit d'un secret d'Etat d'importance capitale, et que pour le bien du monde entier, il vous est formellement défendu d'en parler à qui que ce soit. Dans le cas contraire, nous serons obligés de vous effacer la mémoire.

L'adolescente s'empara d'un des revolvers, qui venait d'être posé sur la table basse, à côté d'une série de couteaux.

Sous l'œil attentif des deux agents, elle le manipula, l'observa sous toutes ses coutures, le reposa, prit un couteau et pressa la pointe sur l'intérieur de son poignet, ce qui eut pour effet de courber la lame.

Satisfaite, Aya lança le couteau qui atterrit à côté des autres dans un bruit sourd. Puis, elle croisa les jambes et, entourant ses genoux de ses deux mains entrelacées, elle se pencha en avant, et fixa intensément les deux agents :

-Et... on y gagne quoi à le buter, ce prof-alien ?