E-17

3. Raconte-moi

Yu-Shin

Quand je m'effondre par terre, c'est toutes mes barrières qui tombent avec moi. Tout ce que j'ai construit pour me protéger durant toutes ces années est en train de s'écrouler sous le regard de la seule personne que je daigne aimer depuis...ce jour là. Je...j'ai toujours considéré les sentiments comme un faiblesse et une partie de moi continue de le penser, car si je n'étais pas tombé amoureux de Jenny comme je l'ai stupidement fait, jamais je n'aurais craqué comme je suis en train de le faire.

Et jamais tu n'aurais gouté à ce bonheur dont tu as tant oublié la saveur.

Cette femme brise toutes mes règles, brouille ma vision mais l'illumine à  la fois. C'est exactement cette partie de moi qui remercie le destin d'avoir mis Jenny sur ma route, grâce à elle je redécouvre comme un enfant les choses importantes et heureuses que la vie a à offrir. Et aujourd'hui cette partie de moi laisse tomber le masque qui s'est au fil des ans peint sur mon visage.

Une fois toutes les larmes épuisées et ma voix usée, je me décide à donner à Jenny ce qu'elle mérite depuis le jour où elle a découvert les cicatrices qui recouvraient mes mains ; des explication.

— Ok, tu as le droit de savoir, conclus-je.

Soudain elle relève les yeux vers moi, pleine de questions, mais semble rester patiente, et je l'admire tellement pour ça que j'aimerai la serrer dans mes bras.

— Prends ton temps, dit-elle en souriant.

Une vague de tristesse me submerge rien qu'en repensant à cette soirée, à cet orage. 

— Ne me regarde pas...s'il te plaît.

— Pourquoi ça ?

— Je ne veux pas que tu vois mon visage pendant que...

La seconde suivante, elle s'exécute et pose sa tête contre mon torse tandis que je passe un bras autours de ses épaules en la serrant un peu plus contre moi. J'avais oublié à quel point son étreinte était réconfortante. Ma respiration s'accélère quand les mots traversent pour la première fois mes lèvres.

— Il y a environ, quinze ans, ma mère s'est suicidé, par un jour orageux comme celui-ci, commençé-je sans la moindre transition.

Je sens Jenny bouger, elle veut relever les yeux vers moi, mais s'arrête et resserre simplement son étreinte à la place. A ce moment précis j'ai envie de lui dire merci.

— Elle était divorcé de mon père depuis mes sept ans, elle ne s'en est jamais remise et...je l'aimais plus que tout au monde. Un jour, après l'école, je devais aller chez ma nounou, comme tous les soirs en attendant qu'elle vienne me chercher après le travail. Ce jour-là, j'avais gagné un concours en chimie, j'ai voulu lui faire une surprise et suis passé chez le fleuriste, rentrant directement à la maison. J'y étais allé à pied, alors il avait commencé à faire noir, et la pluie a commencé à tomber.

A chaque phrase s'ajoutait un nœud dans ma gorge, un nœud affreusement douloureux. Il était maintenant insoutenable de repenser à cette histoire sans me dire que c'est à cause de Miles que ma mère est morte. J'inspire lentement, et expire en espérant pouvoir ne pas craquer une nouvelle fois devant Jenny.

— Quand je suis entré dans la maison, je pensai y attendre ma mère qui arriverait une trentaine de minute plus tard. Mais elle était là, dans sa chambre, le tonnerre grondait déjà, et elle, elle agonisait.

Je marque un longue pose pendant laquelle je tente de reprendre mon souffle tandis que Jenny s'accroche un peu plus fort à mon t-shirt pour que je n'oublie pas sa présence. C'est à cause de moi. C'est à cause de moi que ma mère est morte ce jour là, j'aurais pu la sauver, mais je ne l'ai pas trouvé à temps.