Tête baissée, je te regardais du coin de l'œil, impressionnée par ton rire et captivée par cette aisance si remarquable que tu possédais déjà. C'est toi qui as posé la question que tous les autres gardaient sur le bout de leur langue.
- Pourquoi tu t'appelles Noëlle ? T'es la fille du père Noël ? Ou alors c'est ton grand-père ?
Je n'ai pas pu m'empêcher de sourire et je t'ai répondu d'une toute petite voix.
- Non, bien sûr ! Mais ma fête, c'est le jour de Noël.
- Le jour de Noël ? T'en as de la chance !
J'avais toujours pensé le contraire, car ça m'empêchait d'avoir une fête
d'anniversaire normale, comme tous les autres enfants, à un moment de l'année où l'on n'aurait pensé qu'à moi alors que mes changements d'âge avaient bien du mal à se faire une place dans l'agitation de fin d'année. J'ai relevé la tête, je t'ai souri. Tout s'est décidé à cet instant. Dans la magie des coups de foudre enfantins, on est devenus de petits amoureux inséparables.
Bien vite, tu es devenu mon rendez-vous d'amour quotidien. Je ne voyais que toi. Je ne parlais que de toi. Erwan par-ci, Erwan par-là... C'était toujours un délice de partir le matin pour la garderie, car je savais que j'allais te voir. Lorsqu'on se retrouvait, tu frétillais comme un poisson dans l'eau. Tu m'entraînais dans tes jeux, inventant pour moi les plus magnifiques histoires, inspirées de celles que tu regardais à la télé. C'était toujours moi la princesse, la fée, la sirène, la prisonnière qu'il fallait délivrer. Le soir, à la maison, j'avais plein de choses à raconter. Les prouesses de mon chevalier servant faisaient sourire mes parents. Mes frères n'en pouvaient plus de se moquer de moi. Ça m'était bien égal. Erwan était le plus beau, Erwan était le plus fort. Erwan était mon ami pour toujours. On avait juré de ne jamais se quitter.Seule ombre au tableau dans cette vie idyllique, Dagobert, le chien, le très gros chien des Loulous de Marie, dont j'avais une peur bleue. L'énorme Saint- Bernard était habitué aux enfants et les adorait. Mais moi, c'était la première fois que je voyais un animal aussi énorme. De plus, ce gentil monstre à longs poils avait décidé de me souhaiter la bienvenue en me débarbouillant la figure à grands coups de langue. Figée sur place par la peur, je n'avais pas réagi. Le brave toutou n'avait pas compris ma réaction. Il s'était couché sur mes pieds, recouvrant mes espadrilles de ses deux pattes, m'emprisonnant de sa chaleur.
Tu étais tout de suite venu à mon secours, empoignant l'énorme bête par le collier afin de l'éloigner de moi. Chevalier attentionné, tu étais ensuite monté sur son dos, à califourchon, lui chuchotant à l'oreille qu'il fallait me laisser du temps pour m'habituer à lui, que je venais d'un ailleurs inconnu, d'un autre royaume où les gentils dragons n'avaient pas le droit d'effrayer les minuscules princesses. Le chien avait parfaitement compris. Il s'était laissé tomber sur le sol, soupirant à en perdre le souffle, me regardant comme un... chien battu.
La brave bête devait être encore plus traumatisée que moi. C'était bien la première fois qu'on refusait ainsi son offre d'amitié. Je me suis souvent demandé ce qui lui était passé par la tête car, le soir même, les lacets de mes espadrilles étaient entièrement grignotés et imbibés de bave collante.
Le lendemain matin, toi, mon héroïque chevalier, tu as décidé de me venger. Il fallait punir le dragon de l'outrage qu'il m'avait fait subir. Pendant la sieste, alors que tous les petits Loulous étaient tranquilles, tu m'as fait signe de te suivre sans faire de bruit. On s'est réfugiés dans les toilettes en laissant la porte entrouverte. D'un sifflement de pro, tu as ordonné au chien affalé, qui nous avait suivis du coin de l'œil, de nous rejoindre.