XXIX. Doute

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Yugo avait des questions plein la tête.

Toute la nuit, il avait rêvé de magie, d'elfes et d'autres histoires qui avaient bercé tant d'enfants à Hautclair. Il avait entendu tellement de contes et d'histoires de la part de ses grands-parents et des villageois sur les prouesses des magiciens qu'il essayait d'imaginer à quoi pouvait bien ressembler la vie d'un magicien, de nos jours.

C'était tellement incroyable d'en avoir rencontré un ! Il n'attendait que le les rayons du soleil pour retourner dans la grande salle afin de retrouver la troupe d'aventuriers et essayer d'en savoir plus sur le magicien.

Sans même attendre que son père n'ouvre les yeux, il quitta la chambre.

Le jour n'était pas levé, encore, mais la pâleur du matin promettait une belle journée pour voyager. Il sentait, depuis le couloir des chambre, la bonne odeur de pain chaud qui cuisait au four.

Mais à quelle heure Antioche et sa famille dorment-ils, pour qu'ils soient déjà aux fourneaux ?

Il descendit à pas légers vers la grande salle, quand il vit une masse brune et bouclé s'engager dans l'escalier à son tour.

Reconnaissant le magicien de la veille, il ne put s'empêcher de laisser échapper une exclamation d'étonnement.

Le magicien, levant la tête, lui sourit avec un air espiègle.

Alors, petit, tu n'arrives pas à dormir ?

Je n'ai pas beaucoup de beaucoup dormir, bafouilla-t-il à la fois intimidé et pris au dépourvu.

Il monta à son niveau, afin que leurs regards soient au même niveau.

Tu as encore plus de questions qui te tourmentent, n'est-ce pas ?

Yugo hocha la tête. Le magicien avait bel et bien ajouter de nouveaux questionnements aux autres.

J'accepte de répondre à une seule autre question. Après, nous ne nous verrons plus avant très longtemps. Alors, réfléchis bien.

La panique s'empara du jeune homme. Il aurait voulu savoir qui était ce magicien, ce qu'il faisait ici, s'il était bien un elfe, si c'était un garçon ou une fille, comment savait-on qu'on était fait pour la magie, la durée des études de magicien, quelles choses incroyables pouvaient-ils faire ou avait-il vu...

Une seule question.

Sur des millions.

La plus instinctive s'échappa de ses lèvres, sans faire exprès.

Comment allez-vous ?

Le magicien sourit avec surprise, avant de poser un regard plein de tendresse sur le garçon qui ressentait soudain un grand élan de bêtise en lui.

Des questions à n'en plus finir, et c'est uniquement celle-là qui te vient à l'esprit ? C'est très aimable à toi. Tu as vraiment très bon cœur, Yugo. Alors, je te répondrai en toute honnêteté. Je vais bien, même si je me sens un peu seul, si loin de chez moi.

Et c'est loin, chez toi ?

Une seule question, mon ami. J'avais dit, une seule question. Je répondrai à celle-là une prochaine fois. Fais bonne route !

Alors que Yugo tentait de reprendre la parole, le magicien s'échappa, le temps qu'il cligne des yeux.

Il n'avait pas pu assouvir sa curiosité. Mais il avait une nouvelle question.

Comment connaissait-il son nom ?

******

L'apprenti refusait de se laisser abattre. Déboulant dans les cuisines, ce n'était pas Antioche mais sa fille, Griselda, qui lui proposa une miche de pain frais, du fromage et du lait chaud comme petit déjeuner. En discutant un peu ensemble, il apprit qu'Antioche veillait à l'auberge presque toute la nuit, alors il revenait à elle et sa mère de préparer la salle et le repas du matin aux clients pendant qu'il dormait.

Il aurait bien déjeuné en cuisine qui était en ébullition, avec le boulanger qui préparait les pains et les commis qui préparaient les couverts à servir aux lients une fois levés, baigné dans la chaleur des fours et des odeurs enivrantes de pain, de lait et de fleur d'oranger, mais la jeune fille l'avait chassé poliment : les clients n'ont rien à faire ici.

Yugo s'était donc attablé seul, près de la grande cheminée de la grande salle, mais bien plus silencieux et moins chaleureux que la cuisine de l'auberge.

Son regard perdu dans les flammes, il se perdit dans ses pensées.

Les choses changeaient bien trop, autour de lui. Il était tellement heureux de pouvoir partir en voyage avec son père, mais entre le deuil de ses grands-parents adorés, les adieux avec Lulli, l'attaque des Loups... il n'était plus très sûr de vouloir continuer sa route.

Charon aperçut son fils en pleine réflexion devant l'âtre rougeoyante.

Même depuis l'escalier, il pouvait deviner ses pensées.

Il s'en voulait.

Il aurait tellement préféré que Yugo reste à Hautclair. Qu'il devienne docteur, ou ce qu'il voulait d'autre.

Le forcer à continuer paraissait n'avoir aucun sens. Il détestait devoir le pousser.

Mais lui comme son fils n'avaient guère le choix.

Il prit une longue respiration, puis rejoignit le jeune homme, interrompant ses pensées.

Bonjour, fils. As-tu pu te reposer ?

C'est sûr que c'est mieux que dormir sur la route. Combien de temps avant qu'on atteigne la mer Nosastra ?

D'ici, il reste encore une semaine de route à cheval. Ensuite, nous ferons escale à Andrémont, avant de contourner Les îles cités de Tohrin Mar et rejoindre le continent.

Combien de temps durera le voyage en mer ?

Quatre mois. C'est la bonne saison. Nous n'aurons pas de tempête. Le seul risque serait les pirates, à la rigueur, mais nous allons emprunter une voie maritime sûre dans une flotte assez importante, donc bien protégé. Nous serons en sécurité.

Yugo ne voyait pas ce voyage d'un bon œil. La mer était l'inconnu total, pour lui. Il ne tenait pas tant que ça à voir le bout du continent. Il avait toujours préféré les collines d'Hautclair et la forêt de Civère.

Tout se passera bien, fils. J'ai pris la mer un grand nombre de fois dans ma vie, et c'est toujours quelque chose de fascinant à vivre. Tu vas comprendre une fois qu'on y sera. Et, quand nous arriverons, tu verras les montagnes les plus hautes que tu aies jamais vu !

Cette pensée raviva le sourire du jeune homme. La montagne, cela lui parlait un peu plus. Il était déjà allé en escapade avec son père, l'hiver, monter au sommet du Pic D'Aigue, quand devinait à peine depuis son village. Une expérience incroyable qu'il mourrait d'envie de reproduire.

On va à Ekmüt ? demanda-t-il.

On verra Ekmüt, affirma Charon.

Alors que Yugo, remotivé, quitta son père pour préparer les affaires du départ, Charon soupira.

Oui, Ils verraient Ekmüt.

Mais ce n'était pas leur destination.

Draconistes [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant