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C'était une rue étroite, les dalles étaient mal placées et glissaient à cause de la neige. Le froid se fait de plus en plus rude en ce mois de janvier 1905. La ruelle était assez large pour contenir une voiture sur la route gelée. De chaque côté, des immeubles, recouverts de neige. On aurai dis un couloir blanc interminable. Saint Pétersbourg en plein hiver n'était pas animé, la rue et la ville étaient silencieuses, on entendait seulement les cloches de l'église retenir les coups de 18 heures. Les passants se font rare à cette heure, et les seules entités présentes sont des animaux abandonnés qui ont survécu aux mois les plus froids de l'année. L'odeur de soupe et de poisson se sent à travers les cheminées pleines de cendres. une voiture passe à toute allure près du trottoir. Perdu dans mes pensées je la remarque lorsqu'elle est dix mètres devant moi et que mon blouson est trempé.

Je passe devant une boutique de fleurs, en train de fermer, de l'extérieur, la vitre miroir réfléchit mon portrait. j'y découvre ma cravate en train de se dénouer, ma veste humide, et mon chapeau deformé. L'humidité de la ville de transcrit par ma simple tenue d'école. Je ferme les yeux, souffle, et reprend mon chemin vers la maison.
Après ma dernière année de lycée, je suis voué à me marier avec la première fille noble que mon père trouvera, surement d'un autre pays pour former une alliance et faire perpétuer notre arbre généalogique. Ma vie est déjà toute tracée depuis ma plus tendre enfance qui n'as rien eu de tendre. J'arrive devant mon foyer, appartenant à ma famille depuis quatre siècles. Sur la boîte aux lettres je lis "Famille Bobrinski". Ce nom me hante, il me rappelle les responsabilités que mon père me met sur le dos, celles que je ne dois pas oublier, celles que je dois porter fièrement, celles qui font que je ne peux pas être moi. Je pousse le vieux portail noir et rouillé, traverse le jardin, mort à cause de l'hiver rude, et arrive sur le palier de la porte. Malgré le fait que je vis ici depuis toujours, me retrouver au pied de ce manoir me fait toujours l'effet d'être une petite souris au milieu d'un immeuble. L'architecture du bâtiment n'est pas toute neuve. Mon arrière-arrière grand-père à fait rénover ce bâtiment pour le faire devenir habitable et depuis nous y avons toujours vécu. La peinture extérieure est noire, comme le portail, la porte, la boîte au lettre et tout ce qu'il y a à l'extérieur de la maison. Je passe la porte d'entrée où se trouve un grand tapis rouge et noir qui va jusqu'au escaliers. J'enlève ma veste mouillée et la pose sur le porte manteau en bois.

L'horloge familiale sonne les coups de dix huit heures trente lorsque je continue dans le couloir pour me rendre dans la salle à manger. Je croise le personnel en train de finir les derniers préparatifs. La salle à manger est grande, large, haute et surtout longue. La table de banquet en bois vernis foncé peut accueillir plus de 20 invités. Cependant, seul mon père, ma mère et moi mangeons ce soir. Les trois assiettes en porcelaine ainsi que les verres en cristal et l'argenterie me donnent la nausée. Tout est tellement parfait, sans aucune tache et sans embûche. Parfois j'aimerais qu'un des domestiques fasse une petite erreur pour que mon monde devienne vrai l'espace de deux minutes. Le monde immaculé dans lequel je vis est trop parfait, tellement parfait que l'on dirait un rêve éveillé. Je m'assois à ma place, à droite de la table, en face de la place de ma mère et à côté de mon père en bout de table. J'arbore encore ma tenue de lycéen, avec mon pull floqué de l'écusson de mon école prestigieuse. Ma mère rentre dans la salle à manger. Elle se penche vers moi, m'embrasse le front et s'assit à sa place. Sa robe est de couleur bleue, sa couleur favorite. Elle porte son collier de perles et ses boucles d'oreilles en argent. Elle est coiffée d'un chignon haut et de quelques plumes sur son bustier de robe.

- Comment s'est passé ta journée mon chéri ? me demande-t-elle avec tendresse.
- Très bien Mère, les cours deviennent de plus en plus intéressants, tu savais que le professeur- ma respiration se coupe lorsque mon père rentre dans la pièce, nous nous levons avec ma mère.

Il est vêtu de son costume de ville. Il semble revenir de dehors. Il souffle en me regardant, s'assoit et demande aux domestiques d'apporter le repas, justifiant un mal de crane terrible qu'il veut soulager par le sommeil. Nous nous asseyons en même temps que lui.

Madame Isabelle, une servante qui est dans la famille depuis ses 20 ans, et nourrisse d'Alexandre, est chargée d'apporter les plats ce soir. La cloche qu'elle soulève révèle une soupe traditionnelle nommée la Rassolnik, une soupe chaude salée à base de cornichons accompagnés d'orge perlé, de blé, de pommes de terre, de rognons et de viande de veau, de bœuf, de porc ou abats de volaille. Ce soir, il s'agit de porc. La partie essentielle du rassolnik est le rassol, un liquide à base de jus de concombres marinés. Il s'agit d'un plat que j'apprécie, surtout quand c'est Mme Isabelle qui le prépare. Le repas se passe en silence, et quand mon père finit de manger, il se lève et part. C'est au tour de ma mère et moi de partir. Je remercie Isabelle pour ce délicieux repas et je traverse le couloir.

Il fait froid et je me réchauffe les mains en les frottant l'une contre l'autre. J'aperçois l'escalier en bois, recouvert du même tapis qu'à l'entrée. Le papier peint rouge et noir contraste avec le lustre, en or et en bougie blanche accrochée au lustre. Au mur, lorsque je monte les marches j'aperçois les portraits peints de mes ancêtres, j'ai l'impression qu'ils m'observent, qu'ils attendent quelque chose de moi. Cette pression me met mal à l'aise et je m'empresse de rentrer dans ma chambre pour faire couler un bain. Je pousse la porte de ma chambre. À l'intérieur, les draps de mon lit en bois ont été changés pour des draps en soie, couleur crème. La fenêtre donne sur le jardin, où les arbres, les fleurs et les buissons sont couverts d'une neige épaisse. Des toiles d'art moderne sont affichées au-dessus de mon lit, ce sont mes préférés. Une d'elle représente la mer, où des bateaux sont amarrés au port. Ma salle de bain est dans une pièce, accessible seulement depuis ma chambre. Dedans, une baignoire, en marbre et vêtue dorée. Je prend des seaux d'eau qu'Isabelle à laissé là et je les verse dans la baignoire, me déshabille et rentre dedans. L'eau chaude détend mes muscles et la vapeur me fait oublier cette journée encore trop parfaite.

J'enfile un peignoir pour me sécher, puis mon pyjama en soie blanc et bleu. Je regarde par la fenêtre, je soupire. Sous ma fenêtre se trouve une banquette. Je m'y assois, prends un livre et me mets à lire. Je prend plaisir à suivre l'histoire lorsqu 'Isabelle rentre dans ma chambre. Sa robe flétrie et son visage ridé est une source de réconfort et est une de mes tâches préférées dans ce décor trop parfait.

- Il est dix heures du soir Alexandre, allez vous couchez je vous prie, chuchote-t-elle
- Je fini mon chapitre et j'y vais Isabelle. Bonne nuit.

Elle sourit et ferme la porte. Je ferme le livre, je me lève et le pose sur la table de chevet. Je me glisse dans les draps propres qui sentent la lavande, souffle sur la bougie et laisse mon esprit errer dans le noir. Je rêve d'aventure, d'une vie trépidante, où ma mère n'est pas constamment sur mon dos, où mon père me montre de l'affection, où les gens de mon école parlent de pluie et beau temps et non de stratégie militaire et politique. Je vis dans un monde où j'ai l'impression d'être l'etranger. J'ai le titre, le physique, le nom de famille, mais pas les ambitions de mon père ou l'élégance de ma mère.

La liberté à tout prixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant