Chapitre 3 : 1889

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   Une intense lumière l'aveugla, aussi ferma-t-elle les yeux. Se sentant toujours chuter, Lily tendit ses mains devant elle. Elle avait l'impression que tout se passait au ralenti, comme si le temps s'étirait. Cette impression fut de courte durée cependant : le temps redevint normal et elle tomba lourdement au sol. Ensuite, tout devint noir.

   Quand Lily finit par reprendre conscience, la première chose qu'elle perçue fut la sensation glaciale dans tout l'arrière de son corps. Péniblement, elle se releva. Sa tête la lançait, elle songea qu'elle avait dû se cogner dans sa chute. Elle regarda ensuite tout autour et se figea. Elle était haute, très haute, beaucoup trop même. Plusieurs centaines de mètres au moins la séparaient du sol. Elle recula sur le sol de métal, un bruit résonnait à chacun de ses pas. Elle était terrorisée. Où était-elle ? Où était le café ? Que s'était-il passé ? "Calme-toi", se dit-elle. "Une pensée à la fois." D'abord, il y avait eu un immense tremblement de terre. Elle avait couru se mettre à l'abri. Elle avait ouvert une porte et était tombée. En rouvrant les yeux, elle était là. Elle ne savait même pas où était ce «là». Ça n'allait pas du tout. Elle devait partir, elle devait rentrer chez elle. Elle avait la sensation d'être observée, mais ne voyait personne, et elle ne comptait pas s'attarder pour vérifier. Devant elle, des escaliers descendaient vers le sol. Faisant au mieux pour oublier son vertige, elle les dévala le plus vite qu'elle. Quelques minutes plus tard, elle put poser un pied sur la terre ferme avec soulagement.

  Maintenant qu'elle était au sol, elle réussit à mieux se concentrer sur les alentours. Elle comprit rapidement qu'elle se trouvait au milieu d'une grande place, pour autant qu'elle puisse en juger. Difficile à dire car une foule dense se pressait devant d'elle, lui coupant la vue sur ce qui se passait plus loin. Et tous ces gens étaient si différents de ce qu'elle connaissait ! La plupart des hommes étaient vêtus de costumes ; avec des chapeaux haut-de-formes ou melons. D'autres, visiblement bien moins aisés, portaient des bérets. La plupart portaient d'épaisses barbes et moustaches, d'autres des lunettes ou des monocles. Les femmes avaient revêtu de longues robes qui bouffaient un peu par-derrière. Elles aussi avaient des chapeaux mais ils étaient bien plus fantaisistes et colorés, à l'image de leurs vêtements. Cependant il n'y avait pas que des Européens, au style bien plus familier pour Lily que les tenues arborées par les autre ethnies présentes. Elle nota que beaucoup d'étrangers étaient présents : des Asiatiques, Mexicains, Natifs Américains... Le tout semblait sortir d'un autre siècle.

   Quelque chose clochait définitivement, mais elle n'arrivait à mettre le doigt dessus. Elle se sentait mal. Ses pensées s'entremêlaient. Incompréhensibles. Chaotiques. Brouillons. Jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus en saisir un traître mot et que sa tête se vide complètement. "Respire", se dit-elle. Paniquer n'allait pas l'aider, elle le savait. "Respire" Il fallait garder son calme et essayer de comprendre ce qu'il se passait. Plus facile à dire qu'à faire, bien entendu. Sa respiration s'accélérait de plus en plus et sa vue commençait à se brouiller. Ses jambes tremblantes peinaient à supporter son poids. Instinctivement, elle finit par s'accroupir à même le sol, mains repliées sur sa poitrine pour sentir sa respiration. Quelque chose l'en empêchait, impossible de savoir quoi. Elle y resta là ce qui lui sembla une éternité avant que quelqu'un ne vienne la voir.

- Tout va bien mademoiselle ?, dit l'inconnu qui s'était penché devant elle.

  Sa voix lui fit l'effet d'un électrochoc, la faisant revenir à elle. Elle battit des paupières quelques instants avant que l'inconnu ne la questionne à nouveau.

- Dois-je vous appeler un médecin ?

   Elle bégaya une réponse négative tandis qu'elle tentait de mettre de l'ordre dans ses idées. "Reprenons depuis le début". D'abord le tremblement de terre. Ensuite la porte, puis la chute. Elle avait perdu connaissance. Lily commençait à penser qu'elle était en train de rêver, ce qui serait logique. Elle se pinça le bras le plus fort qu'elle pu : rien. Quelque part, elle s'y attendait. Tout ça paraissait beaucoup trop réel pour n'être qu'un rêve ou une hallucination. Elle s'était peut-être retrouvée dans une caméra cachée ? Là encore, peu probable. Il aurait fallu beaucoup trop de moyens et elle n'était sûrement pas le cobaye idéal. Pareil pour une expérience sociale ou un truc dans le genre. Bref, au final, elle n'était pas plus avancée qu'au début. Il devait bien y avoir une raison qui expliquerait pourquoi elle avait atterri là, au milieu de ces gens habillés comme dans un autre siècle ! Cette dernière pensée résonna dans la tête de Lily. "Un autre siècle"... Se pourrait-il qu'elle ait voyagé dans le temps ? Elle réalisa alors que la question n'était peut-être pas «OU» elle était, mais plutôt «QUAND». Et si elle avait voyagé dans le temps ? Lily regarda mieux tout autour d'elle à la recherche d'indices ou de quoi que ce soit qui aurait pour l'aider. Pour la première fois, elle tourna la tête pour observer d'où elle était descendue et un grand soulagement la gagna : La Tour Eiffel ! Et dire qu'elle l'avait raté... Elle était à Paris alors ! Cela ne la dépaysait pas trop au moins, c'est là qu'elle vivait avant. Et si la Tour Eiffel était là, cela signifiait qu'elle était au minimum fin 19ème siècle. Vu le monde qu'il y avait et toutes les cultures présentes, il n'était pas impossible qu'elle ait atterri par on ne sait quel miracle à L'Exposition Universelle qui avait eu lieu à Paris... en 1889 ! Mais c'était impossible ! Et pourtant... Incroyable ! Plus elle y pensait, plus sa curiosité la piquait. À vrai dire, ce n'était pas tous les jours qu'on avait cette opportunité. De toute manière, elle avait beau y réfléchir, elle ne voyait aucun moyen pour rentrer chez elle. Elle n'était pas une experte en physique quantique, tous ces machins-là ne lui disaient rien. Autour d'elle, elle ne voyait pas non plus d'indice quand à la façon de revenir. Son arrivée n'avait apparemment laissée aucune trace. Ne voyant pas ce qu'elle pouvait faire d'autre à cet instant, elle se tourna alors vers l'homme ; qui était en train de la dévisager, soucieux, ne sachant trop que faire.

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