#12. Préserve-moi

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William avait du talent, mais pas que. Depuis toujours, c'était évident, il était différent des autres. Il voulait se produire, il voulait être vu, reconnu. Mais surtout, il voulait déranger, bousculer, scandaliser. Il avait ce besoin viscéral d'être quelqu'un et de changer les choses, de faire évoluer les mentalités récurrentes qui l'enfermaient dans une multitude de cases dont lui même n'avait, pour la plupart, aucune conscience. Depuis tout petit, on lui avait prêté des envies, des pensées, des vices. Il était une erreur de la nature, sans doute. On lui avait imposé des mots, des insultes, des violences. Il avait toujours refusé de se conformer à la société, il ne serait jamais ce que le monde attendait de lui, ou peut-être que si justement, son rôle était là, prédéfini, il était devenu l'icône d'une aisance d'être et de penser. Mais hélas sous cette impression de désinvolture, il avait cette rage et cette souffrance, omniprésentes. Il n'était en rien ce que les autres pensaient qu'il était, mais en vérité, se défaire de ce carcois assigné était chose impossible et il le savait. Aussi bien que sa propre perception de lui-même serait toujours biaisée, malgré son combat féroce pour être libre de laisser parler son âme, il vivrait constamment à travers le regard d'autrui. Et c'est paradoxalement ce qu'il avait toujours cherché. Sa beauté et sa singularité d'esprit lui avaient finalement ouvert toutes les portes. Et à présent, il pouvait porter tous les masques qu'il voulait, ils lui seyaient tous à merveille. 

Le jeune homme écrasa sa cigarette sur le rebord du muret sur lequel il était passivement installé. Il soupira, passant une main dans ses cheveux. La couronne était lourde à porter, et pierre après pierre, il avait bâti un royaume où nul ne pouvait entrer. Déceptions après désillusions, mensonges après trahisons, il ne comprenait plus ce qu'il devait faire et où il devait aller pour purifier sa vie sentimentale. Il attirait les mauvaises personnes, sa notoriété avait piétiné toute chance de relation saine et fortuite. Les drames étaient son quotidien, oh bien sûr il adorait ça, mais en être la victime était beaucoup moins amusant. Une sorte de malédiction pesait sur ses épaules et il n'en avait pas l'antidote, peut-être ne l'aurait-il jamais. Lui qui plaçait l'Amour au-dessus de toutes lois et volontés était bien en peine. Et la tournure que prenait les choses chez lui, avec elle, l'accablait profondément. Un énième échec, une énième épreuve. Pourtant rien n'était comparable, son dégoût prononcé pour ce qui se déroulait sans son consentement ne pouvait prendre le contrôle de la marque qu'elle avait scellé sur son âme. Un morceau d'elle vivait en lui tout comme un morceau de lui vivait en elle. Leur relation était autre, insondable et surnaturelle. Fallait-ils qu'ils se brisent de la manière la plus cruelle pour mieux exister ensuite? Devait-elle se profaner pour réussir à lui offrir ce qu'elle avait de plus beau? Elle était différente, elle aussi. Dans les méandres de son cerveau, impuissant, il était anéanti de devoir faire face à l'ironie morbide de tout cela. L'était-elle aussi? En tant que protagoniste, avait-elle encore un cœur? Et son frère, doutait-il du tranchant de ses actes? 

Chancelant, il se leva. Toma et elle ne mesuraient pas l'ampleur de la situation comme lui en prenait connaissance à force de cogitation. Mais il n'y pouvait rien et intervenir entre eux ne les pousseraient qu'à agir plus vite. Il l'avait su, avant Tom. Ses sentiments pour la jeune fille étaient présents, ils n'attendaient simplement qu'à éclore de façon aléatoire. Ils étaient là, bien cachés, sous-jacents d'une amitié un peu trop tendre et confuse. Après tout, il avait toujours rêvé d'elle, lui aussi. La jalousie et la possessivité de William avait probablement soufflé sur les braises, allumant un braisier qui n'était alors qu'une étincelle et l'incendie se propageait de manière exponentielle depuis. Il était loin d'être parfait, il avait ses moments, parfois très bons, souvent très mauvais. Arrivant à la conclusion qu'il était fautif, il regarda le ciel, stoppant les cents pas qu'il faisait dans la cour. L'étau à l'intérieur de sa poitrine se resserra. Peut-être qu'il ne méritait pas le bonheur, après tout, il possédait déjà tout le reste.

Ghostly threeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant