Chapitre 2

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Combien de temps errais-je dans la forêt, je ne saurai le dire. Des jours certainement. Après avoir essayé en vain de retrouver le Futura 3, j'arpentais ce nouveau monde sans but, si ce n'est l'espoir de me nourrir et de me réchauffer. 

Déambulant parmi ces troncs, tous semblables, je repérai un soir, au travers de racines, de petites protubérances. 

Accroupie, j'extirpai ce qui ressemblait à une carotte violette dépourvue de fanes. Ses radicelles s'accrochaient encore au gravier blanc comme de la craie. Je la frottai contre mon pantalon d'uniforme avant d'en croquer une bouchée.

Je m'installai tout près pour la nuit et au petit matin, après un sommeil difficile dans le froid, je jugeai que je pouvais manger ces bulbes. Cela me sustentait à peine et la faim me tenaillait. 

Dans un sens, ce sentiment était salvateur, car il m'empêchait de me reposer longtemps et me poussait à avancer pour trouver de quoi le combler. En l'occurrence, de nouvelles carottes. Je finis par comprendre qu'elles poussaient au pied d'arbres au tronc plus sinueux que les autres, ce qui me permit de les repérer de loin. 

Je recueillais la rosée pour la boire dans de grandes feuilles rouges. Elle était abondante, mais je ne pouvais la transporter. Je me forçais à en absorber de grandes quantités au levé. Un matin, où j'avais déjà bu deux feuilles et m'apprêtais à vider le contenu de la troisième, je penchai la tête une nouvelle fois en arrière pour me verser l'eau dans la gorge.

J'aperçus une sorte d'objet rond se déplaçant très haut dans le ciel. Je grimpai en haut d'un arbre aux branches basses. Dans la direction où il s'était éloigné, j'entrevis de l'herbe rouge, haute comme celle de la Savane en Afrique. Un changement de paysage me sembla bon signe. Je me remis en route avec une vigueur renouvelée.

Il avait repris conscience à l'arrivée des pompiers et refusa d'être emmené à l'hôpital. Il leur promit d'aller consulter et referma la porte sur eux avant de se retourner.

— Il faut que je voie mon père. Elle m'appelle !

À la façon dont il avait prononcé le "Elle", je compris que le pronom avait une majuscule, et peut-être même bien que toutes les lettres étaient en capitales. Ce n'était pas de sa mère dont il parlait. J'étais consternée.

— Attends le matin, tu vas le déranger en pleine nuit, dis-je d'une voix faible.

Je me savais vaincue. Déjà, il avait enfilé son blouson de cuir et tenait les clés de sa moto. La porte claqua sur notre vie de couple.

***

Peu après, il emménagea au sein de ce que je qualifiais de l'antre de la secte, pour être formé par son père. Je le vécus au début comme un soulagement, échappant ainsi au récit de ses délires. 

Le dernier en date étant que l'esprit féminin avait pour corps une planète entière, et que son père allait l'y emmener s'y promener. Je m'étais rassurée en pensant que c'était une façon de passer plus de temps avec sa mère. Jusqu'à ce qu'il m'appelle pour me dire qu'elle était morte et enterrée, selon les rites chamaniques, et que seuls les membres de la secte avaient pu y assister.

— Tu vas revenir habiter avec nous ? demandai-je, abasourdie qu'il ne m'ait pas appelée avant.

— Je vais tous nous sauver, préviens Zoë, fut sa réponse avant de raccrocher.

À la lisière, des constructions étaient visibles, au fond d'une vallée que je qualifiai de bleudoyante. Me rapprochant, je réalisai que ce devait être un genre de gare spatiale. La piste blanche, rayée de différentes nuances de vert, se détachait sur l'herbe écarlate et s'étendait sur des kilomètres carrés. Quelques bâtiments l'entouraient. 

À distance, j'avais l'impression que de petits oiseaux voletaient dans le ciel couleur de neige. Un gros point noir se trouvait sur la piste.

Ragaillardie par cette preuve de civilisation, je me mis en marche derechef. Le terrain suivait une pente douce jusqu'à un à-pic, au pied duquel je découvris un amoncellement de débris s'étendant sur une centaine de mètres carrés. L'un d'eux revêtait une forme allongée et brillante au soleil qui me sembla familière. 

Je descendis avec précaution par un raidillon à l'apparence ancienne. Des pierres usées servaient de marches, mais beaucoup manquaient. En bas, des buissons aux épines rouges s'accrochaient à flanc de coteau. Je m'y abritais des yeux d'un observateur éventuel. J'étais à quelques pas d'un triangle métallique d'au moins trois mètres de haut, sur lequel était écrit « Futura 3469 ». Il s'agissait d'un aileron. 

Je restais un moment pensive. J'avais été nommée capitaine du Futura 3 et les vaisseaux m'accompagnant étaient numérotés de 31 à 39. Le premier envoi avait eu lieu un an avant, avec un seul navire. Le deuxième avec cinq. Était-ce là le neuvième compagnon du trois cent quarante-sixième envoi ou le soixante-neuvième compagnon du numéro 34 ? Derrière cette énigme s'entassait un capharnaüm de fragments divers. Allais-je y retrouver les débris du Futura 3 ?

Je me courbai pour avancer avec discrétion. L'anarchie apparente des débris s'ordonnait. Les brèches se révélaient être des portes et fenêtres, ouvertes sur des fauteuils et tables de cabine formant des salles à manger, ou sur des couchettes dans des chambres. Je distinguais à présent les différentes habitations de ce qui se révélait être un bidonville. J'hésitais à le traverser. Le délabrement de ces logements m'évoquait les pilleurs d'épaves et n'augurait rien de bon d'une nouvelle rencontre. 

J'entrepris de les contourner avec prudence. Il n'y avait pas un bruit, peut-être les habitants étaient-ils tous partis en chasse d'un nouveau navire à piller ? Au détour de ce qui avait été une paroi extérieure, je vis, par l'un des hublots cassés, deux petits garçons, malingres et sales. Ils jouaient aux osselets, assis par terre, tels des automates, sans un mot. 

Mal à l'aise, je m'éloignai sans bruit. À travers la paroi éventrée d'un container spatial, je découvris un grand os rongé à l'extrémité aplatie. Il reposait dans une assiette en plastique, typique de celles se trouvant dans les kits de survie. Sans être spécialiste, j'identifiai un fémur humain. 


L'intercessrice [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant