Chapitre 1

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Je me ranimais peu à peu, heureuse dans mon demi-sommeil. J'émergeais d'un rêve où ma fille Zoé criait de joie sur une des balançoires de la base spatiale terrienne. Je la poussais et elle semblait s'envoler. 

Les dentelles de sa robe rouge se soulevaient et ses pieds, chaussés de souliers brillants dans le soleil, s'élevaient de plus en plus haut. Pour la dernière fois, nous profitions du grand air sur Terre. J'étais confiante et emplie d'espoirs.

J'entendais des cris au loin et je crus reconnaître la voix du père de Zoë. Le doute m'envahit, ce n'était pas possible, Marlow ne pouvait plus nous atteindre. Il n'avait pas le droit de pénétrer sur la base des candidats au Départ. 

Un hurlement de sirènes chemina dans mon esprit, semant l'étreinte d'un sentiment d'urgence. J'ouvris les yeux sur un monde indistinct. Mon cœur se resserra et lutta avec l'apathie de mes muscles. 

Mon bonheur d'être avec ma fille s'était déchiré sur son insouciance. Je voulais continuer à la contempler rire aux éclats et admirer ses longs cheveux flamboyants flotter au vent. 

La pression dans ma poitrine s'amplifia. Sans savoir comment, je me retrouvai assise dans ce que j'identifiai d'abord comme un cercueil à la vitre transparente relevée. Des sonneries vrillaient mes tympans.

La réalité me frappa de plein fouet. Capitaine du vaisseau Futura 3, j'étais la première à être réveillée en cas d'alerte. D'un bond, j'étais sur pieds. Telle une guirlande de Noël, les lumières des tableaux de bord clignotaient. Il y avait plus urgent. 

Malgré les routines médicales, mes jambes restaient rigides. Je devais me soutenir avec les mains pour rester debout. Le sol incliné de quelques degrés n'aidait pas à mon équilibre. 

Tout en serrant les dents, j'appuyai mes fesses sur la paroi pour ne pas m'affaler par terre. Je saisis mes cuisses à deux mains et commençai à les palper, puis à les masser. J'en étais au stade "deux" de la procédure de réveil - exécuter quelques flexions douloureuses - quand je jetai un coup d'œil sur mon second. 

Un squelette occupait son coffret de sommeil devenu tombeau. Je me traînai jusqu'au technicien pour le trouver dans le même état. Tremblante, je titubai vers la porte du dortoir où se trouvait notre précieuse cargaison : les futurs habitants de la première colonie terrienne. 

Je pressentais ce que j'allais découvrir, il n'y avait pas de raison qu'ils aient survécu à l'équipage. Seul le matériel du Capitaine était doté d'un circuit sécurisé. Avant de les atteindre, une soudaine vibration me surprit et je trébuchai. 

Je me précipitai au premier hublot à portée, qui me révéla de l'herbe bleue et un début de côte grise, appartenant sans doute à une montagne. J'en restai sidérée quelques minutes.

D'une façon ou d'une autre, le vaisseau avait atterri sans l'assistance de l'équipage, au sein d'un paysage ne ressemblant en rien à la destination prévue. Ce mystère disparut de mon esprit à la deuxième fenêtre, quand je découvris une dizaine d'individus à l'allure rachitique, tous en haillon. 

Ils retiraient les batteries du vaisseau. L'horreur me galvanisa. 

Je commençais par leur hurler d'arrêter, ce qui était bien inutile à travers une coque conçue pour résister au vide spatial. En vacillant sur mes membres encore fragiles, je me retrouvais devant un puits doté d'une échelle. 

C'était l'accès au hangar à navettes, mais j'hésitais à l'emprunter. Et si mes forces ne me permettaient pas la descente ? Le sas des sorties extravéhiculaires me revint alors en mémoire. Il était à l'étage et du bon côté du vaisseau, tourné vers le sol.

La commande manuelle du sas s'actionna au premier essai et d'un pas, sans même m'interroger sur la qualité de l'air, j'étais dehors. Dès qu'ils me virent, les voleurs me désignèrent du doigt et s'avancèrent. Je me figeai. 

Leurs expressions se durcirent, alors qu'ils sortaient des couteaux de leurs poches. Deux hommes se séparèrent du groupe. Ils s'éloignaient en biais, à l'opposé du vaisseau. Une manœuvre d'encerclement qui démontrait qu'en aucune façon, j'étais la bienvenue.

Je pris mes jambes à mon cou. C'était douloureux au début, je crus que mes muscles longtemps inutilisés se déchiraient. Je trouvai refuge derrière des arbres immenses aux feuilles ovales et rouges. Sans plus m'inquiéter de mes poursuivants, je m'effondrais, pantelante, contre un tronc noueux.

Un tel effort, le ventre vide, m'avait épuisée. Comme je n'entendais plus de bruit de poursuite, je risquais un œil vers le vaisseau. Il reposait seul dans une sorte de clairière d'herbe rouge. 

Où étaient les cinq autres de l'escouade ? L'un d'eux contenait ma fille. Mon cœur se serra à cette pensée. Nous répétions ensemble les exercices d'assouplissement post hibernation, que j'exécutai à présent en pleurant de douleur physique et psychique, tout en surveillant le Futura.

Après les batteries, ils étaient passés au saccage du vaisseau et jetaient des fauteuils, tables et autres fournitures sur le sol. Je m'abîmais devant ce spectacle, quand un couinement impérieux de mon ventre me sortit de ma stupeur. 

Des rations spéciales étaient prévues pour le réveil, je me souvins les avoir aperçues sous le coffret de sommeil et ma faim se creusa davantage. 

Je ne pensais plus qu'à une chose : me mettre en quête de nourriture. Le sol était caillouteux, mais il devait y avoir de la terre en dessous, car il y avait beaucoup d'herbes et d'arbres.

Je passai devant une petite flaque d'eau dans laquelle j'aperçus mon reflet. Je m'arrêtai, contemplant mon visage. Moi, Myriama, 35 ans à l'époque de ma mise en hibernation, modeste institutrice jusqu'à l'appel à volontaires pour embarquer sur la multitude de Futura, chargés de transporter la population de la Terre. 

Mère d'une fille de 7 ans, Zoé, qui n'était pas dans mon vaisseau, "pour garantir la cohésion de l'escouade". Qu'était-elle devenue ? Et les colons placés sous ma protection ? J'avais failli, je le savais. Ces pensées douloureuses furent balayées par mon instinct de survie et de nouveau, manger m'obséda.




L'intercessrice [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant