Chapitre 1 II

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Un nid dans un buisson fournit mon repas : trois œufs gris tachetés, de la taille de ceux d'une caille, que je gobai, les lèvres sur la coquille, au mépris de toute prudence élémentaire. 

Si mon mini-festin ne m'empoisonnait pas, je me promis, la prochaine fois, de ne prendre qu'une goulée et d'attendre une éventuelle réaction de mon corps avant de continuer. Je m'éloignai et m'assis au sein d'un bosquet pour me reposer.


*****


— Selon mon père, disait Marlow, cet esprit femelle est prêt à nous accueillir, elle en serait enchantée même. J'éclatais de rire. Quand j'avais rencontré Marlow lors de mon premier poste d'institutrice, il plaisantait sur son chaman de père, le présentant comme un original. 

Il m'avait séduite ainsi, avec son univers empli de fantaisie. J'avais compris plus tard que mon beau-père était le leader d'une communauté que certains qualifiaient de secte : Nova Mater.

Marlow n'avait plus de contact avec lui et je ne m'en inquiétais pas. En ces temps où l'humanité était prête à ce qu'une partie de ses habitants quittent la Terre surpeuplée, il était même d'accord pour postuler avec moi au programme "Proxima", du nom de l'étoile la plus proche de la Terre, Proxima du Centaure. Dans son système planétaire se nicherait la première colonie humaine extra-terrestre. 

Nous avions commencé à vivre ensemble en attendant d'être appelés pour la formation spatiale. Lorsque notre fille était née, il avait préféré ne pas la reconnaître, disant que sinon, son père allait l'embrigader. Il avait imité un dictateur exigeant que notre fille voie des fantômes. J'en avais ri aux larmes.

Puis, des soucis s'étaient enchaînés. Publicitaire, il avait voulu protéger la bourde d'un subordonné et il avait été licencié après le témoignage à charge du coupable. Il était devenu amer. 

Peu après, sa mère était tombée malade. Ses jours étaient comptés et elle avait demandé à revoir son fils. Il avait refusé avant de m'en parler. Nous en avions discuté et je l'avais convaincu qu'il valait mieux qu'il y aille. Je m'étais moi-même fâchée avec mes parents, et j'avais regretté de ne pas les avoir revus avant leur mort.

Marlow revenait de sa première visite dans sa famille quand il me parla pour la première fois du grand projet de son père. Je crus que malgré la gravité de la maladie de sa mère, il plaisantait. Mon rire stoppa net quand il me dévisagea avec colère.

— Cet esprit femelle est prêt à nous accueillir, elle en serait enchantée même, gronda-t-il. Tout le monde en rit, c'est plus facile que d'accepter la vérité. Ce n'est pas la vraie vie. Le monde est aux mains des riches et de leur argent. Ils sont puissants dans un monde matérialiste. Le spirituel les effraie, car ils ne peuvent acheter les esprits avec de billets de banque. Alors, ils le tournent en dérision. Je sais que c'est devenu une habitude entre nous de rire de mon père, nous nous sommes même délectés des articles moqueurs parus dans les journaux, sur ce que les journalistes à la solde du pouvoir ont qualifié de "lubie".

Des articles moqueurs étaient parus sur la découverte, par Terra Nova, d'une planète habitable, mais invisible même avec le plus puissant des téléscopes. Je fis signe de la tête pour acquiescer pendant que mes pensées tourbillonnaient. Comment pouvait-il adhérer ainsi au projet de son père ? Le choc de voir sa mère mourante affectait-il son jugement à ce point-là ? Allait-il revenir à la raison ?

Insensible à mes états d'âme, mon compagnon avait repris la parole et expliquait avec fierté comment son père et ses adeptes avaient lancé un appel aux entités pensantes de l'univers. 

L'intercessrice [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant