Suguru s'était réveillé en sursaut. Il avait lu deux-heures trente quatre du matin sur son téléphone et s'était levé, les jambes un peu tremblantes, vers la salle de bain.
Ne verrouillant pas la porte, Suguru s'appuya sur le lavabo, la tête baissée vers l'eau qui coulait sous ses yeux. Il prenait le temps de regarder le jet s'écraser devant lui. Il essayait de garder le regard visé, sans défaillir, mais ses paupières étaient encore lourdes. Il but un petit peu, ce qui hydrata sa gorge sèche qui le gênait. Le bruit de l'eau lui remplissait les oreilles, et il eut soudainement l'envie d'y plonger la tête, de voir ce qu'il se passerait si plus aucun bruit parasite ne venait l'emmerder.
Suguru avait fait un cauchemar. Même s'il ne se souvenait pas exactement de son contenu, il se souvenait qu'il ne s'était pas senti bien du tout. Il avait eu l'impression d'être entraîné dans un trou noir géant qui aspirait toute son énergie vitale. En se réveillant, il transpirait à grosses goutes et son souffle était court. C'était comme si une chaîne énorme était entourée autour de lui et que quelqu'un tirait dessus dès qu'il essayait de faire un pas vers l'avant. Le plus frustrant était que la porte qu'il voulait franchir pour s'en sortir n'était qu'à quelques mètres de lui. Seulement, la chaîne était trop lourde. Il n'avait pas le choix, il devait s'en débarrasser.
Dans le miroir, ses yeux rencontrèrent la silhouette inquiète de son ami. Satoru venait de passer la porte, les yeux bien ouverts et paniqués. Suguru l'avait réveillé, il s'en voulut pour cela. Satoru avait le sommeil léger en plus de ne pas dormir bien non plus. De petites cernes tapissaient le dessous de ses jolis yeux bleus.
« Est-ce que tout va bien ? Je t'ai entendu crier. »
« Pardon de t'avoir réveillé. »
Satoru s'approcha. Il s'installa à côté de lui, posant sa main sur la sienne pour le rassurer.
« Ne t'excuses jamais. Que s'est-il passé ? Tu as fait un cauchemar ? »
Suguru hocha la tête. Il ne savait pas bien s'il devait essayer de s'en souvenir ou de juste le laisser partir.
« Tu t'en souviens ? »
« Je n'ai pas envie. »
« Je vois. De quoi est-ce que tu as envie ? »
« Je ne sais pas. »
Satoru serra les doigts du brun dans sa main. Il voulait poser ses lèvres sur la peau de sa nuque, lui chuchoter quelques mots rassurants, mais il ne trouvait pas le courage. Pour le rassurer, il aurait voulu embrasser sa joue, ses bras nus, ses épaules droites qui ne demandaient qu'à s'affaisser.
« On retourne se coucher ? »
Les yeux de Suguru, à travers le miroir, se posèrent sur la douche derrière lui. Il voulait sentir l'eau sur lui, mais devoir se déshabiller et attendre que l'eau chauffe étaient des choses qu'il ne voulait pas faire.
« Laisse moi faire. »
Satoru activa la douche, attendant que l'eau froide se réchauffe. Il s'approcha de Suguru. Ses yeux parlaient pour lui ; il n'eut pas besoin de dire quelque chose pour savoir que son ami lui donnait l'autorisation de le toucher. Satoru laissa ses mains déshabiller doucement le brun, son corps musclé apparaissant au fur et à mesure que le temps passait. Suguru bougeait peu, aidant Satoru de temps en temps en levant les bras.
« Je t'attends dans la chambre. »
Quand Satoru quitta le pièce après l'avoir laissé sous l'eau, Suguru eut l'impression de se retrouver seul. L'eau tiède ne lui donnait aucune sensation, seulement le sentiment désagréable de lui gratter la peau. Il se sentait comme piqué de partout.
Il ne savait pas exactement combien de temps il resta sous la douche, mais quand Suguru revint dans la chambre, Satoru était toujours là. Le brun s'était débarrassé du tee-shirt qu'il portait car dérangé par les frottements de celui-ci sur sa peau sensible. L'eau de la douche était trop chaude, mais il ne l'avait pas baissée.« Suguru ! Tu as la peau toute rouge ! »
Le brun s'assit sur son lit tandis que Satoru se dépêcha de trouver une crème à appliquer sur le corps du garçon. Il ravala sa douleur - il souffrait moins que Suguru, alors il pensait n'avoir rien à dire -.
« Pourquoi tu n'as pas baissé l'eau si c'était trop chaud ? » soupira-t-il en s'installant à ses côtés. Satoru mit la crème sur tout le haut du corps de son ami, mordant sa lèvre inférieure pour se retenir de pleurer. Il avait tellement mal de le voir autant souffrir.
« Je suis désolé. »
Satoru renifla.
« S'il te plaît ne t'excuses pas. »
« Satoru... »
« Pardon. » dit-il avant de se lever, il ne voulait pas pleurer devant lui. Le garçon aux cheveux blancs sortit un peu trop rapidement de la pièce, s'enfonçant dans les couloirs de l'internat jusqu'à à atteindre l'extérieur où il se laissa tomber sur les marches.
Il faisait froid, mais il s'en fichait. Il en avait juste tellement marre, il était juste tellement fatigué. Il s'en voulait de ne pas réussir à aider son ami comme il le voulait. Son cœur s'arrachait à chaque fois que les cernes de Suguru lui apparaissaient plus creusées, plus violettes.
Dehors, sous les étoiles et le froid désagréable de cette nuit d'automne, Satoru pleurait bruyamment. Il n'avait pas honte, il trouvait ça normal de pleurer. Il avait juste honte d'être lui, cette nuit-là. Pourquoi lui avait-il le droit d'aller bien ? Pourquoi c'était Suguru qui souffrait, et pourquoi pas lui ?
Satoru détestait aller bien quand Suguru allait mal. Il haïssait ce sentiment de plénitude qui l'envahissait quand un beau paysage se dressait devant lui, il haïssait apprécier manger ses repas quand Suguru vomissait les siens une heure à peine après les avoir avalés.
C'était trop dur à porter, mais il ne pouvait pas s'en aller au risque que son cœur finisse en morceaux.Satoru était profondément amoureux de Suguru, alors lui tendre la main était la seule chose logique à faire, quitte à y laisser ses ailes.
Satoru était le plus fort, et pourtant ces derniers temps, il avait l'impression d'être inutile. Il se sentait comme une ombre dans la vie de Suguru.
Il culpabilisait à l'idée d'avoir montré ses larmes devant lui, lui rajoutant une dose de stress qu'il voulait à tout prix lui éviter.Quand le garçon aux cheveux blancs revint dans la chambre, Suguru semblait dormir. Il était allongé dans le lit de Satoru, serrant dans ses bras quelque chose qu'il ne voyait pas.
Doucement, Satoru approcha du lit. Il observa quelques instants le dos nu de Suguru jonché de petites cicatrices. Il caressa sa peau en surface, l'effleurant presque, comme si c'était quelque qu'il n'avait pas le droit de toucher.
Quelques minutes plus tard, Satoru s'allongea aussi. Il colla son torse au dos de son ami, ses lèvres effleurant la nuque du brun. Courageux, il laissa quelques baisers rapides sur sa peau.
Satoru ne le voyait pas, mais Suguru avait les yeux ouverts. Il ne souriait pas, mais son cœur le faisait à sa place.
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La Foule
FanficParfois, Suguru a l'impression que ça va mieux. Parfois, Suguru a l'impression que ça ne va pas. Il ne sait pas ce qui l'attaque, il ne sait pas ce qui le tient, mais s'il a la chance d'au moins savoir une chose, c'est qu'il vivra toute sa vie avec...