Chapitre 3: ça va?

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La dernière fois que j'ai été chez Alex, c'était un dimanche soir. J'enseignais déjà à deux classes en collège les lundis et les vendredis. Bien que l'établissement dans lequel je travaillais était loin de la ville dans laquelle il vivait, je suis allée dormir chez lui, comme je le faisais chaque fois que je voulais le voir. Cette relation n'a duré que quatre mois et demi, et c'est pourtant celle qui a eu le plus d'impact sur moi tant émotionnellement que physiquement. J'aurais dû me douter qu'elle finirait mal. J'avais conscience des signaux mais je les ai tous ignorés.

« Mel, ce n'est pas normal que ce soit toujours toi qui ailles chez lui. Il ne fait jamais le déplacement jusqu'à chez toi, et même quand il passe devant chez toi, il ne s'arrête pas ».

Emilie me l'a sans cesse répété. Elle avait vu tous les signaux, elle. Elle ne l'a jamais senti.

J'ai rencontré Emilie en première année de Master. On était dans la même classe. N'étant pas quelqu'un de sociable, je ne lui avais jamais adressé la parole. Après avoir obtenu les résultats positifs de mes écrits de concours, j'avais reçu un message de sa part sur les réseaux, me proposant de réviser ensemble. J'ai trouvé sa démarche extrêmement gentille, et j'ai accepté, bien que ce fut compliqué de réviser avec elle, à cause de mon job étudiant en hypermarché. Nous avons passé nos oraux en même temps, à Orléans, et nous avions toutes deux échoué. J'ai bien vécu la chose. Ce n'est pas dans mon tempérament de m'inquiéter, je prends les choses très à la légère en règle générale. Emilie, cependant, l'a très mal vécu.

En un sens, je suis heureuse qu'elle l'ait raté, autrement nous n'aurions pas été si proche, et ce ne serait pas ma meilleure amie aujourd'hui. C'est une des premières fois que j'ai une amitié, et j'irais même jusqu'à dire une relation si saine avec quelqu'un. Je n'ai jamais vraiment eu de chance en amitié. D'abord, mon cercle d'amis n'est pas très large. J'ai trois amies d'enfance : Ludivine, Alison et Yasmine. Ludivine est une personne très sympathique mais néanmoins très naïve. Elle manque de logique, d'autonomie et a beaucoup de mal à s'exprimer. Elle est jalouse et possessive, même en amitié, mais elle est très à l'écoute et a vraiment la volonté de comprendre, même si la plupart du temps elle est à côté de la plaque.

Alison était ma meilleure amie en primaire et au collège. Bien qu'elle ait déménagé un peu loin en CE2, j'allais souvent chez elle et elle venait souvent chez moi. Nos parents étaient devenus amis par notre biais. Elle était très proche d'une de ses copines, Fanny, qu'elle considérait surement comme sa meilleure amie. Elles faisaient parties du même monde. Elles adoraient le shopping, aimaient aller en soirée et côtoyaient des garçons. J'étais à des années lumières de ces choses-là. Je n'avais pas les moyens financiers pour aimer le shopping, n'avais pas d'amis qui sortaient et les garçons ne me regardaient même pas. Aujourd'hui, Alison et moi sommes amies, on prend des nouvelles l'une de l'autre quand on y pense et on se voit quelque fois. Je serais toujours là pour elle et vice-versa.

J'ai rencontré Yasmine en grande section de maternelle. Je venais de déménager. Elle avait une copine, Kathlyn, qui refusait de jouer avec moi. Kathlyn n'étant là que le matin, Yasmine s'est un jour approchée de moi et m'a proposé de faire des bracelets Egyptiens en papier avec elle, ce que nous avons fait. S'en sont suivies des soirées pyjama chez elle et pleins de sorties avec sa mère. Elle était enfant unique à ce moment-là. Elle a ensuite déménagé mais on se voyait toujours. J'allais chez elle et elle allait chez moi. Souvent, je pleurais pour rentrer. L'idée d'être loin de ma mère était compliquée pendant un temps. C'est en parti pour ça que je ne suis pas allée en classe de mer en CM1 et CM2. Ça, et avec du recul, je pense que c'était aussi dû au manque de moyens financiers.

Je n'ai gardé aucune amitié du collège. J'ai toujours quelques personnes sur les réseaux sociaux, mais je ne leur parle jamais.

J'ai deux amies du lycée, Maeva et Laurie. Avec Maeva, on ne se parle pas beaucoup mais je sais qu'elle répondra toujours présente si ça ne va pas, et c'est pareil de mon côté. Laurie, c'est plus compliqué. Elle a été mon amie la plus proche après Alison. Laurie a un tempérament totalement opposé au miens. Au lycée, j'étais assez réservée alors qu'elle était très sociable. J'ai toujours manqué de confiance en moi et mon corps a toujours été un gros complexe. Elle, elle passait son temps à dire à quel point son corps était parfaitement dessiné. J'aime la discrétion, elle aime quand on la regarde. Au fil des années, notre relation s'est dégradée, à tel point que je me suis souvent demandée si je devais rester amie avec. Mais comme tout « people pleaser », j'étais incapable de rompre ce lien amical, par peur de blesser. Donc j'ai subi cette amitié, longtemps. Il n'y avait pas que de la négativité dedans, bien sûr, mais il y en avait assez pour m'abîmer un peu plus.

Viennent ensuite les amis de la fac. J'ai rencontré Thomas en première année de Licence. Ça a été le coup de foudre amical. Il a très vite occupé une place importante dans ma vie. Il est de loin la première amitié saine que j'ai eue. Il m'a toujours épaulée, même quand on se voyait moins à cause de mon redoublement. J'ai souvent eu le sentiment de ne pas lui rendre la pareille. Je n'ai pas été aussi présente que lui, et aujourd'hui, avec du recul, je me rends compte que je ne l'ai pas non plus vraiment écouté. En licence, un professeur nous avait donné des exposés dont on choisissait la thématique. Il avait abordé le sujet de l'anxiété, un sujet qui ne me parlait absolument pas à cette période de ma vie. Cette thématique qui touche un bon nombre d'entre nous était un sujet qui lui tenait à cœur et pour cause : il en était touché, lui aussi. Pourtant, je n'ai rien tenté de faire pour l'aider. J'aurais peut-être dû être plus avertie, lui demander un peu plus comment il allait. Pas comme un « ça va ? » qu'on lance comme un « bonjour » mais plus un « comment tu te sens, en ce moment ? ». Il ne m'en a jamais voulu. Il est l'une des personnes les plus gentille que je connaisse.

Je pourrais aborder toutes mes amitiés post études supérieures, mais la liste est longue et j'en reparlerais certainement.

Quand je songe à chacune de mes amitiés, la plupart ont un point commun : je dois ou j'ai dû à un moment donné fournir des efforts et prendre sur moi pour conserver ces liens. Combien de fois ai-je mis de côté un sentiment négatif que quelqu'un ou quelque chose me procurait, simplement par crainte que la relation ne change ou que le lien soit rompu ? En y réfléchissant, j'ai l'impression que ce phénomène qui s'est produit de multiples fois peut possiblement être lié au fait que j'ai toujours (depuis petite ) eu ce besoin de me raccrocher aux rares personnes qui daignaient m'accorder de l'importance.

Enfant, adolescente ou encore jeune adulte, j'ai toujours été celle qui écoutait les autres en groupe plutôt que celle qui parlait ou racontait des histoires. J'ai souvent été celle qui marchait sur l'herbe ou derrière parce que le trottoir était trop petit pour trois, celle à qui on imposait des choses parce que l'avis de quelqu'un qui ne contredis jamais personne et s'adapte à n'importe quelle situation ne compte pas. J'ai toujours été le fantôme du groupe, le fantôme de partout. J'étais là, on le savait, mais j'étais en même temps transparente. Transparente et jugée, parce que quelqu'un de silencieux, c'est quelqu'un dont on ne sait pas grand-chose. L'inconnu, ça fait peur, c'est bizarre.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 30 ⏰

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