Stay

2. Mattia

Je viens de commettre une grosse erreur.

Dans deux jours, je recevrais une bande d'adolescents déchainés chez moi, prêts à faire leur dernière fête de tout l'été, dont je ne connais rien si ce n'est leur âge, leur prénoms et le lieu où ils sont allés en vacances. Puisque j'étais au même endroit. C'est comme ça que je les ai tous rencontrés.

Merde, quel con.

D'un autre côté, c'est la seule excuse que mon brillant esprit ai trouvé pour revoir la fille autour de qui j'ai tourné tout l'été. Nina. Sa capacité à nous emmener sur la plage qu'il pleuve ou qu'il vente, toujours avec le sourire, m'a tout de suite plu.

J'adore l'été. Parce que c'est la seule saison où même si je ne suis jamais réellement sûr de revoir toutes les personnes auxquelles je me suis attaché, je peux être sûr que je créerai les meilleurs souvenirs de mon adolescence avec eux. Et ça n'a pas de prix. Parce que quand je serais père si je le deviens un jour, je parlerai à mes enfants de toutes ces personnes qui ont marquées la plage de mes souvenirs avec leurs traces de pas.

Avouer ce que je ressens n'a jamais été mon point fort, sûrement parce que les deux personnes qui m'ont élevé ne m'ont jamais réellement appris à le faire, et maintenant je me retrouve à devoir gérer une colonie de vacances entière dans la même maison. Soit dit en passant la mienne. Je ne vais pas tenir.

Nina m'a promis qu'elle ramènerait le plus de personnes possibles, et la connaissant, je devrais ajouter minimum vingt couverts aux trente déjà prévu pour mes invités. Mais ce n'est pas ça qui me déplaît le plus.

J'appréhende l'idée que la fille qui m'intéresse ramène toutes ses amies et peut être même un garçon, ou plusieurs, à une fête que j'ai organisé seulement pour la revoir. Et si au final, au fond d'elle, elle n'en avait rien à foutre de moi ? Et qu'elle avait accepté seulement parce qu'il y aurait Camille et Lucas?

Camille est l'une des plus grandes copines d'été de Nina. Elles se sont rencontrées un soir sur la plage, et ça a tout de suite fonctionné entre elles. On ne pouvait pas les séparer. Et c'est l'une des raisons pour lesquelles, le dernier soir, au milieu des au revoir larmoyants, j'ai fait ce que je sais faire de mieux. Rien du tout. J'ai adressé un bref "à bientôt" à l'entièreté de notre groupe, puis j'ai posé mes yeux sur elle. Nina portait une longue jupe blanche à motifs et un haut qui allait avec. Elle était sublime. Sublime, mais accompagnée de Camille, alors je n'ai rien réussi à dire.

Je ne sais pas à quoi je m'attendais. Dans les livres à l'eau de rose, c'est toujours comme ça. La jolie fille rencontre un joli garçon pendant l'été, puis elle l'oublie pour se mettre avec le protagoniste, qu'elle rencontre au lycée, et qui assemble les pires défauts et les meilleures qualités. Le mélange parfait.

De toute façon, j'était sûr que j'allais rapidement passer à autre chose et que bientôt, mes pensées s'effaceront comme nos traces de pas sur la plage. Comme nos souvenirs à tous. J'ai été le seul à garder contact avec le reste du groupe depuis la rentrée.

Pour oublier tout ça, je me lève de mon lit et m'installe dans le salon où bientôt, des cadavres de bières et des adolescents en chaleur règneront. Le calme avant la tempête, dans un sens. J'allume la télé, je zappe les chaînes d'info et m'arrête sur une émission qui relate les faits divers et les crimes non résolus. Je la laisse alors tourner, sans vraiment écouter ce que le présentateur raconte.

Mes pensées font trop de bruit pour m'y autoriser.

Une fois que l'émission est finie, il est déjà vingt-deux heures, et mon ventre crie famine. J'attrape mon téléphone et commande une vingtaine de sushis, pour en avoir demain midi. Je vérifie d'abord mon compte bancaire. Depuis que ma tante m'a puni parce que je suis rentré bourré il y a une semaine, elle ne m'a plus donné d'argent. Elle doit penser que j'achète mon alcool avec ce qu'elle me donne chaque mois. J'indique l'adresse de livraison, mon numéro de téléphone, celui de ma carte et paie. Ma commande arrivera d'ici une demi heure.

En attendant, je retourne dans ma chambre et m'installe sur mon lit. Je regarde les dernières story Instagram de mes amis sans vraiment m'y attarder, jusqu'à ce que je tombe sur celle de Nina. Sur la photo, elle pose avec une amie à elle, sûrement Olympe, dont on a entendu parler tout l'été. En bas à gauche de la photo, Nina a écrit "ESSAYAGES". Olympe y a été obligée, j'en suis sûr.

Ce n'est que en éteignant mon téléphone que je me rends compte qu'un sourire est dessiné sur mon visage. Je l'efface instantanément. Je ne peux pas ressentir de choses aussi fortes en aussi peu de temps et surtout pas maintenant. Ce n'est pas le moment.

Cette année est décisive pour mon avenir, je ne peux pas me planter. J'ai toujours été doué en sport et si c'est le seul dessin d'un avenir prometteur, je dois mettre toutes les chances de mon côté. Et arrêter de me torturer l'esprit avec cette fille. Et ma famille.

Je dois prendre l'air.

J'enfile un manteau noir en m'assurant que ce soit celui avec la capuche. Dehors, il pleut. On est le dernier jour du mois d'août, et l'été se termine sur une note humide. Entre mes yeux et les nuages, je ne sais pas qui pleure le plus à l'idée que tout ça s'arrête.

Je mets en vitesse mes baskets et sort, en fermant la clé à double tour. Sait on jamais. Ile ne fait pas encore totalement nuit quand je sors. Le ciel est d'un bleu nuancé et le coucher du soleil resplendit d'un orange jauni par les nuages. Comme si les étoiles s'alignaient, un scooter viens se garer devant chez moi, je devine alors que ma commande est dans le gros sac bleu à l'arrière. Le livreur me demande un code de confirmation et me tend le sac en me souhaitant une bonne soirée. Si il savait.

Je vais passer ma soirée seul, comme à mon habitude, ma tante travaillant à l'hôpital, j'ai bien été forcé de m'habituer à l'autonomie et la solitude. Mais ça ne me dérange pas. Vaut mieux être seul que mal accompagné.

Quoi que parfois, être mal accompagné m'arrangerait. Je ne veux plus être seul.