VIGILANTES

PARTIE I

La tête renversée, Peter Parker vêtu de son costume de Spider-Man se balançait au bout de sa toile accrochée à la rambarde d'un escalier de secours extérieur. Il avait remonté son masque sur son nez pour pouvoir manger tout en surveillant la rue. Ce quartier était réputé pour sa mauvaise fréquentation. Les résidents vivaient avec des trafiquants de drogues et meurtres réguliers. Traîner ici à la nuit tombée n'était pas prudent, mais c'était maintenant que Spider-Man avait le plus de chance de prendre un criminel en flagrant délit. Et même si Hell's Kitchen n'était pas la porte d'à côté, il se sentait d'humeur casse-cou ces temps-ci et ce quartier semblait l'endroit parfait pour une altercation musclée. Il avait envie de défi, d'un affrontement plus ardu qu'un banal vol de sac à main. 

N'ayant pas eu l'occasion de rentrer chez lui depuis qu'il était sorti du lycée, il s'était acheté un sandwich dans une épicerie au coin de la rue, une des rares ouvertes de nuit. La seule source de lumière provenait des néons rouges grésillants de l'enseigne, d'épais nuages gris masquant la lune. Peter chantonnait en même temps qu'il mastiquait une bouchée de son sandwich trop sec, sa tête allant de droite à gauche en rythme avec son fredonnement. Seules ces discrètes notes perçaient le lourd silence de minuit. 

Un gros oiseau frôla soudainement Peter. Sous la surprise, il lâcha sa toile et s'écrasa sur le trottoir trois mètres plus bas. Il se releva en massant son épaule droite qui avait pris tout le choc de l'impact. L'oiseau responsable se percha sur un lampadaire éteint, un corbeau si noir qu'il se cofondait avec le ciel. Son croassement grave emplissait le silence. 

一 Saleté corbeau, mon sandwich est fichu, pesta Peter lorsqu'il remarqua les deux tranches de pain sur le sol. 

Si un quelconque criminel comptait venir par ici, il avait sûrement déjà fui loin à cause du bruit. Ne gardant plus aucun espoir de croiser quelqu'un, Peter se décida à rentrer chez lui plutôt que prévu. Il n'avait plus aucune envie de se battre et la fatigue commençait à le gagner. 

Alors qu'il remettait son masque correctement, il aperçut du mouvement du coin de l'œil. Il crut d'abord au corbeau. Mais au bout de la rue, c'était une femme complètement paniquée qui accourait dans sa direction, pied nus et une paire d'escarpins à la main. Spider-Man qui pensait à une agression se précipita vers elle pour l'aider. La femme lui adressait de grands gestes pour qu'il fasse demi-tour, puis lorsqu'elle fut plus proche, elle cria : 

一 Partez ! Partez ! Il arrive ! 

Spider-Man ne se laissa pas intimider. Il continua à courir jusqu'à ce que la femme tourne la tête. C'est là qu'il le vit. Une silhouette monstrueuse volait sur un planeur enflammé, ricanait en poursuivant la femme. Saisi d'une peur irrationnelle, Peter n'eut pour seul réflexe que de se jeter dans la benne à ordures près de lui. Les hurlements cessèrent subitement, un silence aussitôt suivi d'un cri caverneux qui semblait tout droit sorti d'un tombeau. 

一 Tous les pécheurs doivent périr !

Recroquevillé entre les sacs poubelles, Peter ne respirait plus. Le calme revint, mais il resta paralysé pendant encore de longues minutes, craignant qu'on vienne le tuer à tout instant. Quand sa respiration et son cœur reprirent un rythme de fonctionnement presque normal, il envisagea de sortir de la benne. Les mains agrippées sur le bord, il dressa la tête pour vérifier si la rue était déserte comme l'absence de bruit le laisser penser. 

Aucune trace du monstre, aucune trace de la femme. Rien. 

Son sandwich n'avait pas bougé. Le corbeau continuait de croasser pareil à un réveil qu'on aurait oublié de désactiver. L'enseigne de l'épicerie clignotait. Rien n'avait changé, tout demeurait comme avant. 

Avant quoi ? C'était-il réellement passé quelque chose ? Peter n'en avait pas d'évidence, pas de preuves concrètes qu'il n'ait pas halluciné. Alors c'était cela, une hallucination. Il était trop fatigué et son cerveau lui jouait des tours. Une nuit de repos remettrait ses idées au clair. Ce fut en tout cas ce dont il se convainquit.