« C'est héroïque, même. Tu ne trouves pas ? »
Les cheveux plaqués sous mon bonnet, les joues giflées par le vent, je marche de long en large sur le rivage. Le ciel enfle gris, balaye le sable brun, mugit comme mugissent mes souvenirs. Le hurlement des rafales me fait osciller mais je résiste, toujours je resterai là, à sonder le bleu se fracasser contre les rochers tant que je n'aurai pas trouvé.
« C'est mon audace et un soupçon de destin qui décide du reste. »
Ta voix me perce la tête. Elle ramène tout ce qu'on se sera dit sur la plage, au village, chez Léonore, chez moi, sur mon bateau, devant l'océan. Tout ce qu'on aura vécu et crié sous l'azur. Elle raconte ta foi en l'héroïsme et le destin. Toutes ces idioties qui te rendaient incroyablement bornée, irascible, détestable, et qui alors me faisaient péter les plombs.
Le problème, Cléo, c'est que jamais je n'avais compris le sens réel de tes mots. Je ne saisissais pas jusqu'à quel point ils se vérifiaient, te concernant. Toi et ton foutu frère. Je t'ai même traitée de monstre, de cœur de pierre, d'assassin. Le problème, c'est qu'aujourd'hui, je comprends, et je t'en déteste que davantage, parce que tu m'as donné le dénouement depuis le départ et moi, calée dans un déni le plus complet, j'ai été incapable de voir cette vérité qui pourtant me crevait les yeux.
« Mais tout ça, ce n'est pas si grave. À la fin, on trouve les moyens pour mieux aller. »
Sublimes conneries. Tout ça, c'est grave, et tes fichus moyens, parfois ils mettent plusieurs décennies avant d'arriver. Moi, il m'aura fallu attendre la venue d'une nana explosée à la colère pour qu'un début de convalescence éclose, et tu n'as débarqué que bien des années après la fracture. Alors bon ? Ne vois-tu pas où tes croyances stupides nous mènent ? Toi loin devant, moi seule derrière qui sottement fouille les vagues ? Sans que vraiment, on ait pu se dire adieu ?
« Tout ça, c'est dans l'ordre des choses. Autant l'accepter tout de suite, sans quoi on souffre trop et trop longtemps. À la fin, les lois immuables de la nature ne s'en retrouveront pas changées, tu comprends ? Et le monde continuera à tourner. Avec ou sans nous. »
Et toujours, je trouverai outrageant qu'il le fasse sans toi. Alors non, Cléo. Je ne l'accepterai pas. Je ne te lâcherai pas. Je resterai là et je sonderai l'océan entier s'il le faut, la moindre goutte d'eau, tant que je n'aurai pas trouvé. J'y hallucinerai ton visage. J'y reverrai tes grands yeux, bleu tourment, surlignés par ta frange que le vent indiscipline. J'y toucherai tes cheveux bruns où crochaient les nœuds, le sel, et qui à la fin tenaient quelques fines dorures de soleil. Je me moquerai de ta marinière trop grande, celle qui me rappelait Eleni, et de ton écharpe trop longue, qui te rappelait Dorian. Surtout, je chercherai dans les vagues une meilleure fin que celle qu'on te prédestinait. Parce qu'après tout, c'est toute la promesse que j'ai faite à ton frère, ce jour où il m'a transmis ta fichue lettre en me demandant de te la donner lorsque tu arriveras. Parce qu'après tout, toi aussi, Cléo, alors que je m'attendais plus à rien, tu as voulu prendre ta vie en main. C'est même la dernière chose que tu m'as dite :
« Peut-être que le destin est un peu plus fluctuant que ce que je m'étais imaginé. »
Bon sang. Et qu'est-ce qu'il te manquait, hein ? Pour m'avouer qu'enfin, après toutes ces années d'allégeance, tu avais accepté l'idée que tu avais le droit de vivre, toi aussi ?
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La promesse des vagues (GxG)
RomanceJe me suis toujours demandé ce qu'il serait arrivé si je n'avais pas été bloquée dans ce maudit village, juste devant l'océan. Mon frère, Dorian, avait traversé tout le pays en me laissant derrière lui des lettres qu'il confiait à ceux qui le mérit...