Chapitre 1 [1/2]

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~ CLÉO ~

— Tu sais quoi Ludwig ? Je pense que c'est mort.

— C'est mort genre jamais on arrive ou c'est mort genre c'est mort ?

— C'est mort genre c'est mort. Jamais on arrive quoi.

— Mais si... Ne dis pas de sottises. Un jour, on arrivera.

— Oui mais quand ?

— Un jour.

— Foutaises. La route n'a pas de bout et ne mène nulle part.

— Toutes les routes mènent bien quelque part !

— Où ça, alors ?

— Là-bas.

— Je sais pas. Je crois que certaines routes vont nulle part. Sinon, voilà longtemps qu'on serait déjà arrivés.

— Mais arrivés où ?

— Je sais pas. Là-bas ?

— Là-bas où ?

— Là où se trouve la vraie vie des gens ?

— Mais c'est quoi, la vraie vie des gens ?

— Roh, toi la ferme, Amad' ! D'où t'ouvres ton clapet, comme ça ? Personne t'a sonné !

— C'est toi qui as commencé.

— C'est vrai.

— Et si c'était faux ?

— Quoi donc ?

— C'est dur à dire. La route, le soleil...

— Ou l'existence de l'océan. Vous savez ce que je me dis depuis le départ ?

— Non.

— Enfin devinez... c'est facile.

— Mais rien n'est jamais sûr.

— Je n'aurai jamais de réponses à mes questions, alors.

— C'est ça. De toute façon... toi-même, tu l'as déjà dit.

— Sans aucun doute.

— Tu ne regrettes donc rien ?

— J'ai surtout mal au pieds.

— Cléo ?

— C'est moi.

— Tu ne regrettes donc rien ?

La gorge nouée, je lève le visage en direction du ciel tressé en nuages et lueurs crépusculaires. J'avance et j'avance, roule des épaules, satané sac trop lourd ! harassée par mes longues si longues journées de marche. Chancelante parfois. Vacillante assez. Ma vue se voile un court instant, me faisant trébucher mais je retrouve aussitôt l'équilibre, passe une main sur mon front mouillé. Maigre geignement avant de fouetter mes pensées et me dire : tout ça, c'est pas si dur, tout ça, tu peux le faire. Je finis alors par souffler, bien qu'échinée, à ma casquette et mon sac-à-dos, avec qui je m'invente des conversations absurdes :

— Non. Je ne regrette rien...

— Pourquoi ?

— Parce que tout ça, c'est... c'est...

On a étranglé le reste de ma phrase, elle meurt avant d'avoir franchi mes lèvres. J'inspire et j'expire, agrippant les lanières de mon sac avec violence, presque angoisse. Bon sang ce qu'elles me scient les épaules. Une grise bourrasque me gifle soudain le corps. J'oscille et frissonne, lâche une bordée de jurons. Parce qu'en plus, là où je vais, il fait moche et froid ? Déjà que ce maudit trou n'a guère de bus, guère de train... Le seul truc de peut-être, peut-être, mais attention je dis bien peut-être, un peu positif, c'est que la bouffée de vent était cette fois colorée de sel. Une qui m'a irrité les sinus, ce qui me donne au moins la certitude que j'approche. Alors je m'ébroue en ravalant mes envies d'arrêter pour continuer, stupiotte tête brûlée. Malgré mes jambes titubantes, mon dos fléchissant sous le poids de Ludwig, malgré la fatigue, la faim, le froid, l'exaspération, l'ennui, surtout l'ennui, je continue. Malgré mes godasses qui m'ampoulent les pieds. Chiasse. L'enfer que c'est. Ça a percé ça saigne violemment, là sous le talon, sans que je puisse rien y faire. J'ai utilisé mes dernières compresses ce matin, et hors question de s'arrêter pour voir à quoi ça ressemble ! Jamais j'arriverai à reprendre. Donc on continue, hop ! Bethoov' Mozart et moi.

La promesse des vagues (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant