Chapitre 2

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Kayla prit une grande goulée d'air en sortant la tête de l'eau. Tout en passant une main dans ses cheveux pour s'assurer d'en avoir ôté tout le savon, elle s'accota au rebord du bassin, épuisée et songeuse. Le jour tirait sur sa fin. Des rayons de lumière filtraient par les interstices d'une lucarne ajourée, plongeant la salle de bains dans un clair-obscur orangé.

Elle pouvait enfin se détendre. Pourtant, elle n'arrivait pas à se sortir de la tête la chasse qu'elle avait effectuée. Les différentes scènes se rejouaient en boucle dans son esprit, entrecoupées de visions fugitives qu'elle ne parvenait pas à assimiler. Des images se profilaient dans sa mémoire : des iris aux couleurs vives perçant la nuit, les parois glacées d'une grotte, la sensation d'une fourrure douce et chaude, ou encore le goût d'une saveur sucrée qui lui était inconnue. Elle revoyait même les pointes des lances étincelantes sous l'éclat du jour. Les boucliers aveuglants. Le contour flou d'une silhouette vautrée dans la boue.

Son corps était couvert d'hématomes. Elle attrapa une éponge et frotta énergiquement pour retirer les restes de terre et de sang séchés sur sa peau. Elle avait de nombreuses égratignures et ses lombaires l'élançaient à chacun de ses mouvements depuis sa chute. Ce n'était rien de grave, cependant. Elle avait connu des douleurs similaires après des entraînements bien intenses. La douleur passerait au bout de quelques jours.

Les autres traqueuses étaient parties des bains depuis bien longtemps, mais elle avait choisi de s'attarder. Cette première journée en extérieur avait été particulièrement éprouvante. Elle ne se résolut à sortir que quand la peau de ses doigts se creusa de ridules. L'eau ruissela et forma une flaque sur le carrelage comme elle émergeait du bassin. Elle attrapa une serviette épaisse et moelleuse, dans laquelle elle s'entortilla pour se soustraire aux tremblements de froid qui l'assaillaient. Puis elle avisa son armement jeté en vrac par terre et se renfrogna. Même si elle n'aspirait qu'à se reposer, elle n'échapperait pas à ses corvées. Les ardiants se devaient de nettoyer eux-mêmes leur équipement.

Le bouclier était le plus sale. De longs crins gris s'étaient collés au métal, mêlés de sueur et de sang. Kayla le souleva avec une grimace de dégoût et le relâcha dans le lavoir prévu à cet effet. Un bruit sourd retentit quand il percuta le fond en pierre.

Les cheveux gouttant d'humidité, la traqueuse se pencha au-dessus de la cuve armée d'une brosse dure. Elle récura ses protections jusqu'à ce que l'acier doré recouvre son éclat et que l'on distingue de nouveau les motifs gravés sur sa rondache : les vagues de l'océan, ceintes du souffle du vent et des figures lumineuses des dieux, ainsi que les runes qui en agrémentaient le pourtour. Une fois son épée, son plastron, son casque et ses jambières nettoyés également, elle ne sentait plus ses bras.

La nuit tombait sur la cité d'Eleasor quand elle quitta les bains et remit ses affaires à un coursier. Elle resserra les pans de sa cape blanche pour se prémunir du froid et se faufila dans les rues de plus en plus désertes, son épée lui battant la jambe. Les habitants qu'elle croisait se dépêchaient de rentrer chez eux. Certains lui adressèrent des saluts cordiaux, mais aucun ne ralentit le pas. Sur son passage, portes et volets se rabattaient en claquant.

Comme tous les soirs, les citoyens se cloisonnaient. Si la menace des siruns pesait sur eux en permanence, elle était d'autant plus vive à la faveur de la nuit, propice à la vision nyctalope des démons. Avant la construction des remparts, ils avaient toujours profité de l'obscurité pour attaquer la ville. Celle-ci avait été réparée et protégée depuis, mais les marques qu'ils avaient laissées dans les esprits étaient indélébiles. Dans ce monde, les histoires que l'on racontait ne faisaient pas peur qu'aux enfants.

Par précaution ou par superstition, les habitants avaient pris l'habitude de se barricader et de disposer une astræl au-dessus de leur porte d'entrée. Ces pierres de lumière chassaient les ténèbres au profit de halos aux tons pâles, bleus, jaunes ou roses. Pour les rares citoyens qui osaient s'aventurer hors de chez eux, comme Kayla, c'était un éclairage plus que bienvenu.

KaylaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant