Chapitre 1

67 6 22
                                    

Tenaillée par la peur, la traqueuse avançait à pas lents et mesurés. Tous ses sens étaient en alerte. L'immense végétation la cernait et l'étouffait, formant un étau de verdure dans lequel elle peinait à se frayer un passage sans bruit. Elle était bien trop consciente de chaque branche et ronce qui la frôlait, de chaque pierre qui roulait sous ses semelles.

La fine perception d'une bête percevrait sans mal ses mouvements. Sa respiration. Son odeur.

Une brise balaya les sous-bois, secouant les frondaisons. Le bruit qui en résulta ressembla à un murmure qui fit bondir Kayla. Tout en expirant pour s'exhorter au calme, elle chercha ses collègues dans le paysage fourni. Elle ne devait pas céder à la panique. Elle n'était pas seule.

Dans la nature, les ardiants étaient difficiles à repérer. Il lui fallut plisser les yeux pour distinguer les tâches dorées tapies dans l'ombre alentour. Eux aussi avançaient à pas feutrés, suivant la procédure.

Ils étaient une vingtaine, disséminés dans les bois. Ils n'échangeaient pas le moindre mot, communiquant par signes. Chacun d'eux transportait un lourd arsenal de chasse ; une lance ou une épée, une armure ainsi qu'un bouclier massif en métal doré. Kayla cachait aussi un poignard dans ses chausses. En sus, deux archers évoluaient dans les arbres au-dessus de leurs têtes, prêts à les seconder.

Ils étaient venus chasser et ils savaient qu'aucune arme ne serait de trop. Les bêtes qu'ils traquaient étaient des monstres, des démons qui se délectaient de chair humaine. Les siruns infestaient leur pays et les ardiants étaient les seuls à pouvoir les contrer.

Kayla roula des épaules pour défaire les nœuds de tension qui s'y étaient accumulés. La sueur gouttait sous son casque doré, fourmillant le long de sa nuque. Par réflexe, elle leva les yeux vers la déesse bleue qui veillait sur eux depuis le ciel. Elle avait oublié qu'une épaisse voûte de branches et de feuilles les séparait et la masquait à sa vue. Elle sentit l'angoisse sourdre en elle, lui coller à la peau à l'instar de ses vêtements moites. Elle ne s'était jamais sentie aussi vulnérable. Et pour cause, elle ne s'était jamais aventurée dehors avant ce jour.

Ils parcouraient les bois depuis l'aube, sondant chaque bosquet. Elle n'aurait jamais songé qu'une patrouille puisse lui paraître aussi longue, alors même que l'adrénaline pulsait dans ses veines. Les traqueurs revenaient souvent bredouilles. Tout en quittant les taillis pour une clairière ombragée, Kayla se demanda combien de temps il faudrait à Myrnos, leur commandant, pour ordonner leur retraite. Elle tenta de l'apercevoir dans la végétation, en vain.

Soudain, elle se figea, le souffle court. Des traces étaient incrustées dans la terre meuble. Elle reconnut la forme arrondie et fendue d'énormes sabots. Les empreintes, si grandes qu'elles faisaient le double des siennes, étaient toutes fraîches ; le siruns ne devait pas être loin.

Elle se mit en garde, l'épée au clair. Entre le bois, les frondes et la boue, le paysage était un fouillis de couleurs et de reliefs, qui pouvaient facilement cacher une bête imposante. Elle attira l'attention de plusieurs camarades d'un signe distinctif, séparant ses doigts en forme de V. À leur tour, ils se positionnèrent.

Bien que son instinct lui réclame le contraire, Kayla remonta la piste. Elle resserra sa prise sur son arme et plaqua son bouclier contre son flanc. Elle mit un pied devant l'autre avec une lenteur calculée, suivant les traces laissées par leur proie.

Elle s'était entraînée toute sa vie pour accomplir ces gestes. Ils ne lui avaient jamais paru aussi délibérés qu'à présent, en situation réelle. Elle savait ce qu'elle devait faire. À chaque pas, elle expirait doucement, plus concentrée que jamais.

Jusqu'à ce qu'elle détecte un regard phosphorescent entre les fougères. Braqué sur elle. Elle frissonna, attirée malgré elle par l'abîme de ces pupilles, comme deux fentes infernales dans lesquelles elle pouvait sombrer.

KaylaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant