Avant-propos :

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L'objet de l'ouvrage que vous allez lire est la création d'une « jurisprudence libertarienne ». Or, pour poursuivre cette expérience rédactionnelle, il faut un accord de principe entre les lecteurs d'une part, et l'auteur d'autre part. Par jurisprudence, j'entends évidemment le terme latin «  jurisprudentia », la science du droit et des lois, composé de jus, juris (droit, justice), et prudentia (connaissance, compétence). J'entends également les décisions rendues par les préteurs romains (d'où la qualification des sources jurisprudentielles de droit prétorien), les coutumes juridiques du Moyen Âge ainsi que récemment les décisions rendues par les cours de justice (tribunal judiciaire, de commerce, de police, etc.). Ensuite, concernant le mot libertarien, je l'associe délibérément au sens donné par les anarchocapitalistes, c'est-à-dire le respect du Droit Naturel, issu des règles élémentaires de l'action humaine, et dont l'objet est la protection de la propriété individuelle (indispensable à toute action). Cela écarte les minarchistes, qui se réclament d'un libertarianisme où l'État est ultra minimal (à la Nozick), et j'ai également conscience des subtilités entre libertarien au sens francophone et libertarian au sens anglo-saxon. L'ouvrage pourrait donc aussi bien s'intituler « Contre jurisprudence jusnaturaliste », ou « Contre-jurisprudence anarchocapitaliste », pour éviter une polémique. Je le conçois. Mais, chers collègues minarchistes, comprenez que j'essaie avant tout de réaliser une jurisprudence « libre » par rapport aux contraintes étatiques, ce qui est exactement l'inverse des décisions de justice actuelles. C'est le devoir de tout libertarien de rechercher la liberté sans compromis (le principe de non-agression signifie seulement qu'on ne peut pas agir sur la propriété d'autrui, y compris la sienne). Donc ce n'est pas tant un choix partisan que la rigueur qui oriente le texte sous vos yeux, et un minarchiste conséquent, donc un réductionniste, devrait y trouver son compte dès lors qu'il admet que la justice ne peut être aux mains de l'État ou avoir des relents collectivistes. Ce point éludé, il apparaît que nous allons tâcher de produire des décisions de justice en accord avec les principes fondamentaux du Droit Naturel selon toutes les connaissances à notre disposition. Il va sans dire que cette jurisprudence pourra être une science de la loi, uniquement en référence à la Loi Naturelle qui est apparentée au Droit Naturel, et non pas à un texte du législateur (désignation pompeuse et illégitime). Cette jurisprudence ira à l'encontre de celle des juristes positivistes, qui sont eux-mêmes à contre-courant des travaux prétoriens d'antan. En fait, ce sera un retour aux sources. Par quel procédé ? Eh bien, par l'élaboration d'arrêts parallèles qui iront à l'encontre des originaux, en « réaction » à la jurisprudence actuelle. Il y aura donc une contre-jurisprudence, comme il y a eu une Contre-Révolution. Cela vient de la lassitude que j'éprouve en tant qu'étudiant de droit positif, devant les vacuités de la production des tribunaux, qui ne font aucun effort en matière de libéralisme. Et, d'ailleurs, il faut rendre à Cesare ce qui est à Cesare, en ce que le juge français se doit de demeurer la « bouche de la loi », mais dispose d'une certaine marge de manœuvre s'il en a la volonté ; or il le fait dans la négation de la propriété, donc de la liberté individuelle de tout un chacun, malgré l'importance de ces notions dans la DDHC.

Les personnes censées appliquer le droit ont plus d'égard pour l'État, leur employeur direct ou indirect, que pour la science juridique, et lorsqu'ils n'agissent pas sciemment pour ses intérêts, leur croyance dans l'humanisme ou l'utilitarisme les y poussent inévitablement. Le droit ne doit pas être influencé par la morale, qu'elle soit conservatrice, humaniste, élitiste ou utilitariste ; il est ce qu'il est, c'est-à-dire le respect des principes élémentaires de la vie en société (qui se limite forcément à la jouissance paisible de tout individu sur ce qu'il possède et à la prohibition de la violence physique sur les biens d'autrui ). Le droit n'est pas là pour servir une cause, et encore moins un hypothétique « intérêt général », qui est une notion subjective et donc arbitraire. Chaque correction d'arrêts emblématiques (avec un extrait, un contre-exemple et une comparaison), permettra au lecteur de mieux le comprendre. C'est ce à quoi je m'attellerai à partir des principes que les théoriciens jusnaturalistes (et en particulier ceux de l'école autrichienne), ont laissé à notre disposition. Les deux ouvrages que je citerai le plus en guise de référence, seront, d'une part, Ethique de la liberté de Murray Rothbard, et, d'autre part, Liberté Manifeste de Stéphane Geyres. Le premier s'inscrivait déjà dans l'optique de l'édification d'un code libertarien, notamment en dégageant des solutions pour des situations concrètes. Le second constitue une excellente introduction aux idées libertariennes, et il a, entre autres, pensé le fonctionnement d'une cour de justice libertarienne (plus précisément d'une entreprise d'arbitrage). L'intérêt pour moi, c'est autant une tentative de restitution des connaissances que j'ai pu acquérir ces dernières années qu'un guide destiné aux futurs juristes jusnaturalistes et, pourquoi pas, aux juristes positivistes, qui comprendront peut-être l'importance de la propriété pour l'homme. Ce faisant, je m'excuse des erreurs que je pourrai faire à mes débuts, qui seront corrigées au fur et à mesure. Par-là, je fais aussi bien allusion à la qualité des arrêts du premier au dernier qu'aux améliorations que j'apporterai rétroactivement, selon des constatations personnelles et extérieures. En effet, je prendrai avec plaisirs les recommandations de mes lecteurs, car j'agis en harmonie avec la communauté libertarienne, et mon intention est d'être le plus fidèle aux positions communément admises. Je me vois même comme l'exécutant d'une tâche que d'autres ne peuvent pas faire. Et à ce titre, je tiens à conclure cet avant-propos en adressant mes remerciements aux vulgarisateurs et créateurs libertariens français, que ce soit Arthur Homines, René Drouin, Adam Villon, et par-dessus tout Stéphane Geyres et Sébastien Laurent. J'insiste sur eux, car tout individualiste que je suis, il m'apparaît clair que nous sommes tributaires de nos anciens, qui sont des pionniers de la vie. Et que serait le libertarianisme français sans le travail de ces deux précurseurs ? Ou de leurs prédécesseurs, Molinari, Mises, Rothbard et Hoppe ? Notre génération aurait tout à commencer. Or, leurs tâtonnements passés nous ont fourni les outils nécessaires pour avancer aussi rapidement dans la maîtrise de la science juridique et économique, et il ne faut pas l'oublier afin d'éviter l'écueil de l'orgueil mal placé. Je m'inscris dans la création d'une doctrine pratique, car les tenants de la théorie ne peuvent être présents sur tous les fronts, aussi vaillants qu'ils soient. Mais, cela n'est qu'une intention constituée de paroles. Pour savoir si la promesse est tenue, il vous reste qu'à tourner la page. Bonne lecture !

Contre-jurisprudence libertarienneWhere stories live. Discover now