Épilogue : Chute

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Dix-neuf heures.

C'est environ le temps qui s'était écoulé depuis que c'était arrivé. Dix-neuf heures. Pratiquement un jour entier.

Mais c'était seulement ça, toutefois. Je n'avais pas l'impression qu'un jour avait passé - c'était beaucoup trop long. Ou trop court. Je ne savais pas. Que ce soit l'un ou l'autre, ça n'avait plus d'importance. Mon sens du temps avait disparu depuis longtemps... Je savais quelle heure il était, grâce à la petite horloge digitale sur la table près du divan, mais je fonctionnais complètement sur autopilote. Mon esprit était encore engourdi ; quelque distinction entre de véritables minutes ou des heures ne voulait plus dire grand-chose pour moi.

Mon cerveau était à peine capable de traiter même les plus simples informations, comme de me redresser pour que Jazz puisse changer mes bandages, ou de répondre quand elle me demandait si j'étais confortablement installé sur le sofa - ce que je n'étais pas, mais au moins hocher la tête et forcer un petit sourire sur mon visage suffisait pour ne plus avoir ma sœur sur le dos... même si l'insouciante émotion était évidemment feinte.

Quelque part, au plus profond de moi, j'étais follement reconnaissant de tout ce que ma sœur faisait pour moi. Jamais dans me vie je n'avais dépendu d'elle à un tel point qu'à cet instant. Je lui aurais offert des milliers de « merci » et de sourires appréciatifs, mais, seulement, je n'avais plus l'énergie ou la volonté de montrer ce genre d'émotion. Tout autour de moi, moi-même inclut, semblait être complètement mort. Tout était distant et embrouillé - quand j'échangeais quelques rares mots avec Jazz, je n'étais pas vraiment . C'était comme si quelque chose m'avait retiré du monde et que je ne pouvais que l'observer de très loin.

Je dormis la plupart du temps. Jazz insista constamment sur le fait que mon corps avait besoin de repos, et je n'étais pas vraiment en position d'être en désaccord. Toutefois, je ne pouvais rester endormi pour plus de quelques heures à la fois - les cauchemars étaient toujours là, attendant de jaillir derrière mes paupières closes et de s'infiltrer dans mes rêves. Ils étaient d'exactes répliques de la nuit dernière, les mêmes souvenirs qui continuaient de me hanter, peu importe la force que je mettais à les réprimer. Chaque fois que je fermais les yeux, et chaque fois que je me réveillais, mes parents étaient toujours là. Leurs formes se dressaient devant la table d'opération, outils tranchant comme des rasoirs en main, des sourires excités sur leurs visages alors qu'ils commençaient à me couper en morceaux. Mais derrière leur curiosité, une plus profonde sorte de haine brûlait dans leurs yeux. Qui s'en souciait si je criais ? J'étais un fantôme. Je les dégoutais.

Et le pire de tout ? J'ignorais si leur opinion de moi avait changée durant ses dix-neuf dernières heures.

Quand je ne dormais pas, je fermais simplement mon esprit au monde extérieur et essayais de ne penser à rien. C'était surprenant à quel point c'était facile. D'une étrange façon, j'étais en fait un peu fière d'être capable de faire face à tout ça. Que je le veuille ou non - cela avait-il vraiment de l'importance ? - mon esprit se comparait à une ardoise vierge, ou un ordinateur fraichement redémarré. Sans souvenir. Sans réalité.

Et à d'autres moments - chaque fois que tout menaçait de s'effondrer et de submerger mon cerveau à nouveau, j'arrêtais simplement ce que j'étais en train de faire (ce qui n'était absolument rien), fermais fermement les yeux, enfonçais les ongles dans mon cuir chevelu, puis, simplement, m'arrêtais. Je n'avais aucune envie de bouger, aucune envie de penser, aucune envie de faire quoi que ce soit. J'étais totalement et complètement calme. Simplement enfouir le monde dans un lointain recoin de mon esprit aidait à amoindrir la brûlure de la trahison, de la culpabilité et de la douleur que je savais terrées là, à attendre de revenir d'un coup à chaque instant.

Rat de laboratoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant