Chapitre 1

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Hôtel Paradise


La sonnerie stridente du téléphone rouge posé sur le comptoir de la réception résonna dans le hall. Tonie décrocha.

_Hôtel Paradise ?

Elle patienta plusieurs secondes, le combiné coincé entre l'épaule et l'oreille. _Merci pour votre appel, à très bientôt.

Tonie s'étira, fit craquer son dos, et se leva pour rejoindre les autres ; elle passa à travers les lourds rideaux pourpres qui séparaient le hall du grand salon et se dirigea vers le buffet pour se servir une tasse de café.

Sophie-Anne était assise sur le divan. Vêtue d'une robe de chambre en soie blanche, elle tenait son fume-cigarette avec élégance tout en discutant avec le sergent Mahoney. Marcus était affalé sur le fauteuil, sa guitare électrique entre les jambes, des lunettes de soleil sur le bout du nez. Tonie le bouscula en passant.

_Désolé mais tu prends toute la place lui dit-elle.

_Hm.

Tonie salua d'un geste de la main quelques clients qui venaient d'arriver. Elle s'empara du journal posé sur la table basse et le déplia avant de s'installer en tailleur dans le fauteuil usé près de la cheminée.

« Un tueur de femme s'en prend cette fois à une prostituée »

« Un train à vapeur déraille, la locomotive explose. De nombreux morts »

« Empoisonnement d'un ténor, spectacle annulé »

_Les nouvelles sont-elles bonnes Tonie ? s'intéressa le sergent.

Une des roues de son fauteuil cogna l'un des pieds de la table lorsqu'il essaya de manœuvrer, Sophie-Anne se leva aussitôt.

_Je vais vous aider Stuart.

_Les nouvelles sont comme toujours, mauvaises, répondit Tonie.

Elle soupira tout en repliant les feuilles de papier et observa Marcus avec insistance.

_Qu'est-ce que tu veux ? Finit-il par grommeler.

_Je vais arroser les plantes, tu m'accompagnes ?

_J'ai mieux à faire.

_Ah oui ? Quoi par exemple ?

_Dégage Tonie, lança Marcus.

Tonie décida de retourner à la réception mais personne n'attendait. Le téléphone sonna.

_Hôtel Paradise ?

Tout le monde savait, et Tonie mieux que personne. Il n'y avait jamais qui que ce soit à l'autre bout du fil. Mais c'était une distraction comme une autre, alors elle faisait semblant.

_Merci pour votre appel, à très bientôt.


Tonie attrapa le vaporisateur en plastique posé sur une étagère à côté du bric-à-brac qu'elle n'avait jamais envie de ranger. La serre se trouvait à gauche du grand et imposant escalier, dont la structure était un mélange de verre et d'acier. Elle entra et huma l'air en fermant les yeux.

Elle s'imagina respirer l'odeur de plusieurs dizaines de fleurs toutes les plus sublimes les unes que les autres. Elle aimait les pivoines blanches, Sophie-Anne les plantes carnivores et Marcus, quand l'envie lui en prenait, venait observer les tournesols. Quant au sergent, Tonie avait aménagé un passage pour qu'il puisse opérer un demi-tour sans encombre, ce qui lui permettait de venir les contempler lui aussi.

La serre appartenait à tout le monde mais Tonie avait remarqué avec le temps que les clients préféraient -si ce n'était se retrouver dans le grand salon- rester dans leur chambre. Elle aspergea un peu au hasard et observa l'eau dégouliner des feuilles et des pétales en plastique en d'épaisses gouttelettes qui vinrent s'écraser sur le sol craquelé.

Le hall était vide lorsqu'elle ressortit de la serre. A côté de la double porte d'entrée, elle jeta un coup d'oeil au cadran de l'horloge de parquet qui ne fonctionnai plus, puis s'installa derrière le comptoir et ouvrit un magazine à la couverture jaunie. L'hôtel Paradise était semblable à tous les autres. Il y avait de nombreux client, le room service s'occupait de combler les demandes les plus particulières, le ménage était fait tous les jours et le buffet bien garni. Oui, le Paradise était comme tous les autres hôtels. A une exception. C'était un hôtel pour les morts.

Hôtel ParadiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant