Compassion

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Je rejoins Linda qui, comme je l'espérais, est sur son heure de dîner dans son bureau. Je cogne dans l'embrasure pour lui signifier ma présence.

- Je peux te déranger sur ton heure de dîner ? J'ai besoin parler à mon amie et à la psy.

- Oui, si ça ne te dérange pas de me voir manger en même temps.

- Deal.

Elle m'invite à m'assoir d'un geste de la main et essuie la vinaigrette sur le coin de ses lèvres.

- Je t'écoute ?

- Je vais aller à l'essentiel, le reste peut attendre notre prochaine séance... Dan sait pour mes sentiments.

- Tu lui en as parlé ?

- Pas exactement, il m'a appelé et je m'y suis rendu. Dan a eu un épisode de ce que je soupçonne de Trouble de stress post-traumatique dû à son séjour à l'enfer... D'ailleurs, tu devrais regarder à ce niveau avec lui...

Linda ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais je me rattrape.

- Tu ne peux pas m'en parler, je sais, c'est confidentiel.

Elle me fait un signe de tête pour que je continue.

- Donc, je l'ai trouvé dans un état fragile, je l'ai apaisé et je l'ai serré contre moi... Il a pu entendre mon cœur... Ce même cœur qui bat pour lui...

- Il a dit quelque chose.

- Non, personne n'a parlé. On s'est séparé quand on a eu trop chaud et que Chloé est arrivée. Je fais quoi maintenant ? Je ne veux pas le brusquer.

- Attend de voir s'il t'en parle.

- Et si ce n'est pas le cas ?

- Parles-en avec lui, si tu en sens le besoin.

- Et si l'amie me donne son avis sur la question ?

- Elle te dirait que tout se ferait naturellement comme quand tu l'as rejoint.

- Merci Linda.

- On peut augmenter les fréquences de consultation si tu en as de besoin.

- Je veux bien si ton horaire te le permet.

- C'est noté.

Linda me sourit satisfaite et je quitte. En route pour chez moi, je croise un homme blanc qui fait la manche sur le trottoir. Son visage et ses cheveux sont marqués par le temps. Son regard océan est triste et perdu dans ses souvenirs. Personne ne le remarque alors qu'il pianote pour tenter d'attirer l'attention dans l'espoir de pouvoir manger quelque chose aujourd'hui. Son étui de piano électronique semble servir de récipient pour collecter les dons qui ne sont pas nombreux. Je m'approche de lui et vois son pendentif en forme de croix. Je vais lui offrir un léger coup de pouce.

- Bonjour monsieur, je lance délicatement.

Il lève les yeux de son clavier et parais revenir de loin. Sa voix est tremblante.

- Bonjour madame, avez-vous une petite pièce pour moi ?

- Non, hélas, je vois que vous êtes croyant.

- Ho oui, Dieu m'a gardé en vie sur le champ de bataille et j'ai prié tous les jours. Parce que oui madame, moi, j'ai fait la guerre et voilà comment la société me remercie. Moi, un ancien combattant. Il me jette à la rue, vous y croyez !

- Vous m'en voyez navré. Je peux vous emprunter votre instrument un instant ?

- Vous n'allez pas me le voler ? C'est tout ce qui me reste.

- Ho non, je veux juste jouer un peu.

Et accessoirement utiliser mon don de compassion pour l'aider, mais j'ai besoin de quelque chose pour le concentrer. Ici, ça sera la musique.

- C'est d'accord, je vais me reposer un peu. Vous savez, mes vieux os ont du mal à supporter ma carcasse.

Il s'assoit au sol et je prends place derrière le piano. Je dois maintenant remplir la seconde condition de mon pouvoir, elle doit venir du cœur. Par contre, ce qui est merveilleux, c'est que les passants n'ont pas à comprendre les paroles pour que la magie opère. Je choisis donc la chanson qui se rapproche le plus de mes émotions en ce moment. C'est « Dans chacun de mes silences » de Marie Elaine Thibert que je mets à pianoter et interpréter en pensant à Dan. L'ami d'enfance et l'homme dont j'aimerais être la copine. J'ai l'impression de retourner à l'adolescence et à mes premières amours. 

Bientôt les dons en argents ne tarde pas à pleuvoir dans l'étui jusqu'à remplir celui-ci. Je ne laisse pas paraitre mon étonnement face au résultat contrairement à l'ancien combattant à la fin de la prestation. Il reste même figé un instant avant de s'exclamer :

- Dieu soit loué et vous bénisse Madame !

- Merci, je lui souris. C'est toute pour vous, faites-en bon usage.

- C'est... beaucoup trop... pour un seul homme...

- J'insiste, vous en avez besoin.

- Vous êtes un ange descendu du ciel.

- Dieu seul le sait.

Je lui ai adressé un sourire avant de me déplacer en même temps que la foule. Je rejoins mon appartement, à ma grande surprise, Amenadiel m'y attend avec des tisanes dans la cuisine. Il m'invite à m'assoir et j'obéis comme à l'époque. Il faut vraiment que j'arrête de laisser ma fenêtre ouverte. Le liquide est rougeâtre, probablement une tisane fruitée.

- J'ai vu que tu as utilisé la compassion.

- C'est le cas.

- Je croyais que tu évitais de le faire, car tu avais l'impression manipulée les humains ?

- C'est vraie mais... j'ai senti que je devais le faire.

Je bois quelques gorgées de la tisane et réalise qu'elle est à la framboise.

- Assurément notre père qui voulait que tu aides un croyant.

- C'est l'impression que ça m'a donné. Je peux te poser une question ?

- Oui, je reste ton grand frère.

- Mon pouvoir m'a semblé plus fort qu'avant, c'est possible ? 

- Oui, le pouvoir des anges évolue.  Tu peux en perdre comme en gagner. Garde confiance, même si ça te fait peur.

- Merci, ça m'a épuisé. Je vais aller dormir.

- Bonne nuit petite sœur.

Il s'envole par la fenêtre et je rejoins sans tarder mon lit.

Diablement fraternelsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant