J'irai danser la séguedille

1 1 0
                                    


Carmen s'attarda sur les murs jaunes pisseux de la cellule de garde à vue. Entre autre littérature, elle découvrit, gravé dans l'enduit, une déclaration d'amour d'un lyrisme débridé et pour le moins inattendu vu l'endroit, suivi quelques centimètres plus bas d'un lapidaire Nike la Police sans aucun charme. L'espace d'un instant, elle se demanda si un homme, un jour, avait pu lui déclamer sa flamme avec des mots aussi touchants, et à quel endroit? Valait-elle mieux qu'un commentaire douteux sur sa croupe, griffonné au marqueur sur la porte des toilettes d'une obscure boîte de banlieue? Puis se remémorant la fouille minutieuse subie avant d'atterrir dans cette pièce glauque, elle fut surtout curieuse de savoir comment ces mots avaient-ils pu être tracés? Avec les ongles?

La rage qui s'était emparée d'elle moins d'une heure plus tôt était retombée comme un soufflé, ne lui laissant qu'une immense fatigue et un goût amer dans la bouche.

A moins que ce ne soit celui du sang.

La bourge camée ne l'avait pas loupée.

La pièce était évidemment dénuée de miroirs, mais Carmen ne doutait pas que son visage tenait plus de la racaille bastonnée que de la madone andalouse.

Elle tâta son nez aquilin qui lui parut indemne, puis ses doigts parcoururent son visage. Elle grimaça quand ils atteignirent l'œdème sanglant qui dévorait une partie de sa joue.

On sous-estime trop souvent l'efficacité d'un Jumbo Chanel comme arme de poing.

Sa langue passa furtivement sur sa lèvre fendue qui saignait abondamment, puis sur ses dents qu'elle inspecta minutieusement. Elle fut soulagée de constater que tout semblait en ordre.

Elle était très fière de sa dentition parfaite, saine et blanche, qui contrastait avec sa peau mate et rendait son sourire irrésistible.

Elle était belle et le savait, pourtant cela n'avait pas toujours été une bénédiction. Loin de là.

Une beauté au moins aussi sauvage que son caractère, et dans le milieu dont était issue Carmencita, cela pouvait être une force mais aussi un poids. Comme partout, au final...

La porte de la cellule s'ouvrit déversant un flot de lumière et de sons étouffés venant de l'intérieur du commissariat. Joey entra dans la pièce, une trousse de premier secours à la main. Il affichait un visage neutre mais ses mains nerveuses trahissaient une certaine agitation.

Carmen ne se démonta pas cette fois. La main sur la hanche, elle le toisa :

- Flic, hein?

Le jeune homme haussa les épaules l'air faussement désolé :

- Beh, faut bien payer les factures !

Carmen plissa les yeux et ne dit rien. Un exploit considérant le maelstrom de pensées diverses qui tournaient dans sa tête depuis son interpellation. Elle avait chassé un poulet...

- Elle ne t'as pas loupé, continua-t-il en pointant son visage du doigt.

La jeune femme leva haut le menton, espérant qu'il n'ait pas remarqué son rougissement soudain.

- Elle m'a eue par surprise cette pétasse... mais je lui ai bien maravée sa tête de Sainte Nitouche

Et elle rit de son rire rauque et profond. Joey la regarda, sérieux comme un pape.

- Tu t'es attaquée à un gros poisson Carmen, c'est la fille du préfet

Il avait prononcé son prénom, et c'était délicieux de l'entendre même si son but était manifestement de lui faire peur, ou de la tancer comme une gamine...

You've reached the end of published parts.

⏰ Last updated: Jan 16 ⏰

Add this story to your Library to get notified about new parts!

Prends garde à toiWhere stories live. Discover now