Chapitre 2

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Neuvième jour du Printemps de l'an 73 du Troisième Cycle - Royaume de Mæstia

Le ciel était constellé d'étoiles et la lune semblait n'être qu'une tache blanche et ronde sur ce tapis scintillant. Les nuits étaient calmes à Mæstia, et le vent en provenance de la mer s'engouffrait dans toutes les maisons de tous les villages du royaume.
L'architecture féerique était assez particulière, puisqu'elle prônait l'harmonie entre l'extérieur et l'intérieur de sorte que la nature puisse prendre ses droits aussi chez les uns et les autres. Les plantes poussaient dedans, les ouvertures n'arboraient pas souvent de vitres et les voiles translucides accrochés aux fenêtres octroyant un semblant d'intimité aux habitants flottaient souvent au vent.
Les animaux étaient par ailleurs libres d'aller et venir dans les maisons elfiques. Les fées cohabitaient avec les bêtes et leur rendaient service s'il le fallait - et inversement.
Cette nuit, comme toutes les nuits, nous entendions la vie battre son plein dans la forêt et même un peu partout dans les villages ou la capitale. C'était un peu ça, la magie du royaume féerique.
Dans son lit, au milieu de sa magnifique chambre princière, Clarity retardait encore le moment où, inévitablement, elle s'endormirait...
Comme à tous les débuts de Printemps, à l'anniversaire de la mort d'Ezra, Clarity revivait en songes toutes les nuits la terrible fin qu'avait vécu celui qu'elle considérait comme son frère d'armes et meilleur ami.
Elle se redressa dans son lit, joua un instant avec la pointe de ses cheveux violets et fini par ouvrir le tiroir de sa table de chevet pour s'emparer d'un portrait d'Ezra.
Elle fit glisser son doigt sur le papier glacé comme pour effleurer le visage de son regretté ami.
Ses grands yeux noirs, ses cheveux ébènes et tressés, ses levées charnues, sa peau noire et la pointe saillante de ses oreilles d'elfe... Son sourire franc arracha un rictus à Clarity. Il semblait si heureux, si insouciant sur ce portrait...
Clarity avala difficilement sa salive et referma le portrait d'Ezra dans le tiroir, comme si elle venait de déroger à une règle ancestrale et qu'elle préférait cacher sa bêtise avant que quiconque ne la découvre.
Oui, Ezra lui manquait, même après soixante ans. Ezra lui manquerait toujours et, surtout, les circonstances de sa mort ne cesseraient de hanter la jeune fée.
Pourquoi les choses avaient-elles dues se passer ainsi ? Pourquoi ?

Quelques heures plus tard, alors que Clarity venait tout juste de finir son petit-déjeuner, Avah déboula dans la salle à manger pour interpeller la princesse. Ses parents la convoquaient dans le salon de jardin dans la cour principale... Clarity savait déjà qu'il s'agissait de son déplacement diplomatique au château des Nyxos, la dynastie vampirique de Lunox.
La jeune fée savait qu'il valait mieux ne pas faire trop patienter ses parents et plus particulièrement son père, alors elle déposa sur la table de bois massif la serviette de soie qu'elle avait étendue sur ses genoux, se leva et observa rapidement son reflet dans l'un des nombreux miroirs de la salle à manger. Bien, elle était présentable, elle arrangea sa frange un peu trop longue, réajusta ses bijoux d'oreilles et vérifia que rien ne s'était glissé entre deux dents puis se précipita dans la cour principale :
— Père ! Mère... Vous vouliez me voir ?
— En effet ma chérie, vient donc t'assoir, demanda Elyria.
Clarity s'exécuta, et observa le regard étrange que lui lançait son père. Son père, ou bien était-ce au souverain qu'elle parlait ? Alors qu'il ne la quittait pas des yeux, Elyria reprit :
— Dans quatre jours nous devions partir pour les soixante ans du traité de paix entre Lunox et notre royaume.
— Devions ?
— Oui... Nous n'irons pas.
— N'était-ce pas particulièrement important alors que les tensions reprennent de plus belle ? Je ne comprends pas qu'on annule...
Cette fois, c'est Riork qui prit la parole. Il décroisa les jambes et se pencha en avant :
— Tu iras. Seule.
Clarity manqua s'étouffer. Depuis aussi loin qu'elle se souvenait, jamais ses parents ne lui avaient conféré autant de responsabilités. Et elle pensait que cela n'arriverait pas avant au moins cent ans. Et alors qu'ils ne lui avaient jamais donné d'aussi grands rôles politiques - se limitant à quelques affaires internes et quelques galas -, ils lui demandaient aujourd'hui de porter à elle seule, encore seulement princesse, le destin tout entier de Mæstia ? Sans qu'ils ne soient à ses côtés ? La princesse lâcha un rire gênée. Elle savait bien que ce n'était pas une blague, mais elle gardait secrètement l'espoir que soudain son père fasse preuve d'un peu de trait. Elle savait aussi pertinemment qu'elle n'avait pas son mot à dire. Si le roi l'avait décidé, il en était ainsi. Clariy avala sa salive :
    — Vous... Vous n'y pensez pas sérieusement, n'est-ce pas ?
    — Il faut que tu fasse tes preuves en tant que future souveraine.
    — Je le conçois, père, mais le bond en avant est un peu... brusque.
    — Je veux que tu te présentes à Lunox vendredi prochain. Il n'y a pas à discuter. Tu es excellente élève, tu sais tout ce qu'il y à savoir, j'ai confiance en toi.
    — Vous avez davantage confiance en moi que je n'en ai moi-même.
    Alors que le roi se levait déjà, Clarity lança un regard de détresse à sa mère. Impossible qu'elle puisse garder son calme face à une horde de vampires à qui elle se devait de faire du charme pour qu'il daignent maintenir le traité de paix qui leur permettait de mener une vie relativement sereine à la péninsule mæstiane... N'était-ce pas dangereux ? Pourquoi le roi et la reine refusaient de s'y rendre en cet instant si crucial ? Pourquoi envoyaient-ils leur seule héritière dans la gueule du loup ?
    Elyria rassura sa fille en posant sa main fraîche sur son genou.
    — Tout va bien se passer, tu seras confortablement accueillie.
    L'accueil qu'on lui réservait était loin d'être sa principale préoccupation...

Les Légendes d'AcromaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant