A quelques milles au sud de la Soledad, un homme tout de noir vêtu se tenait là, au bord de la Salinas. L'eau descendait calmement contre le flanc de la colline et coulait, verte et profonde. Cet homme regardait nostalgiquement les arbres danser au gré du vent de ses yeux perçants, il écoutait le ruissellement de la rivière, tout était calme. Sur la rive sablonneuse, les feuilles des sycomores formaient, sous les arbres, un tapis épais de verdure.
L'homme prit son bonnet dans ses mains petites et fortes, laissant voir ses cheveux emmêlés dans un geste d'hommage. Il resta là, debout et immobile, à fixer les feuilles voltiger dans les airs, les oiseaux piailler perchés sur leur branche, les lapins venir pour le regarder puis s'enfuir au moindre bruit, les grenouilles croasser en passant de l'autre côté de la rive.
Des bruits de pas se faisaient entendre parmi les chants des bois faisant fuir les quelques animaux restés au côté du petit homme. Le nouvel arrivant était vieux, il boitait légèrement. Ses cheveux gris étaient ébouriffés, lui aussi avait un regard triste. Il se positionna au côté de l'autre, sans geste brusque.
Le silence entre les deux hommes n'étaient pas gênant, loin de là. Il était reposant, il permettait aux deux de réfléchir à ce qu'ils allaient dire. Dix ans étaient passés depuis la mort de Lennie, dix ans qu'ils ne s'étaient point vus.
-Lennie me manque, commença le plus petit calmement pour combler le blanc entre eux.
L'autre ne releva pas, il enfonça ses mains dans ses poches et regarda devant lui. Il ne savait pas vraiment quoi répondre. Alors le silence plana à nouveau entre eux, le chant des oiseaux se faisait entendre, le ciel devenait un peu plus sombre à chaque minute qui passait.
-Qué qu'tu comptes faire maintenant George ? Demanda alors l'autre.
Il se permit d'y réfléchir plusieurs secondes.
-J'en sais foutrement rien, j'vais peut-être réaliser not' rêve ou continuer de vivre ma vie tranquillement. C'est peut-être ce qu'aurait voulu Lennie.
Le plus vieux hocha la tête.
-Ma proposition d'il y a dix ans tient toujours, si jamais. J't'aiderai si tu le veux bien. J'ai toujours eu vot' rêve en tête depuis qu't'es partis, j'me dis que ce serait dommage de l'abandonner après tous ces efforts, tu vois ?
George détourna son regard vers lui, agréablement surpris.
-J'veux bien, Candy, j'veux bien. C'était not' rêve à tous les deux, à Lennie et moi, avoir not' propre exploitation. J'lui disais qu'on réunirait tout not' pèze, et qu'on aurait une petite maison et un ou deux hectars et une vache et des cochons et qu'on vivrait comme des rentiers.
Candy l'écoutait attentivement en regardant le décor. Il pouvait très clairement s'imaginer tout ça, rien qu'en écoutant George.
-J'disais qu'on aurait un grand potager, et un clapier à lapins, et des poulets. Et que quand il pleuvrait l'hiver, on dirait : l'travail, on s'en fout; et qu'on allumerait du feu dans le poêle. J'lui racontais tout ça, ça lui plaisait bien. Il voulait s'occuper des lapins, il voulait en avoir de toutes les couleurs.
-C'était un beau rêve que vous aviez là...
-T'sais ce qu'il retenait le plus dans tout ça ? La seule chose dont il se souvenait c'était que lui il m'avait moi pour m'occuper de lui, et moi, j'avais lui pour s'occuper de moi.
Les deux se turent, l'un touché par ce qu'il disait et l'autre n'ayant plus rien à dire. Après quelques minutes de silence, Candy lui tapota gentiment l'épaule et commença à partir, tournant le dos à la Salinas qui descendait continuellement le long du flanc de la colline.
-Allez viens, on a assez de pèze maintenant, j'te promets.
Et George le suivit après avoir lancé un dernier regard à cette rivière, là où tout avait commencé.

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Des Souris et Des Hommes // John Steinbeck
Fiksi PenggemarQuelques années ont passé... George revient sur les bords de la Salinas ... Il rencontre un ancien du ranch. OS sur le livre Des Souris et Des Hommes de John Steinbeck. Les personnages ne m'appartiennent pas, je ne fais qu'inventer une suite de deux...