Le lendemain, le même schéma se reproduit. Le soldat entra dans la boutique, le blond, sans doute le fils du gérant, perdait son sourire et prépara la commande du brun.
- Je mets quel nom ?
- Hans Goetz.
Ce nom était assez surprenant pour le blond, puisqu'il reconnut une certaine consonance de ses origines. Passé la surprise, le blond écrivit autant qu'il le put.
- Tu as fait une erreur. C'est pas un "s", mais un "z".
En silence, le jeune homme rectifia l'erreur autant qu'il le pouvait. Il glissa le ticket qui servirait à faire preuve chez les supérieurs et poussa le petit sac doucement sur le comptoir. Aucun sourire, aucune taquinerie, rien. L'échange était froid et sans intérêt.
- Au revoir.
Notre jeune soldat aux cheveux foncés fronça les sourcils. Il regarda les tarifs et glissa une somme légèrement supérieure au service. Aucun travail ne devrait être gratuit, même pour un envahisseur. Charles ne bougea pas d'une semelle et fit un signe de tête négatif. Il ne devait pas avoir cet argent, ça ne devait pas se passer ainsi.
- Prends-le pour toi-même si ton patron refuse. Je ne reprendrai pas cet argent, jeune homme.
Aucun mot ne lui répondit. Rien hormis un regard désapprobateur et méfiant. Sans relever, le SS prit le sac et sortit en lâchant son "Auf wiedersehen" habituel. Une fois à l'extérieur, Hans se laissa aller à l'observation de la vitrine. Simple et presque chaleureuse. Une chaleur dont il n'avait pas le droit.
Charles put enfin respirer. Pendant ce petit échange, il avait eu la désagréable sensation d'être oppressé. Il avait eu envie de lui jeter son café bouillant au visage, de détruire ce si laid uniforme. De se rebeller, de prendre son arme, de tirer sur tous les soldats qu'il pourrait, d'hurler qu'ils n'étaient que des monstres.- Tout va bien. Il est parti.
Ces petits mots prononcés avec une telle douceur permirent au blond de respirer sans risquer l'infractus. Les mains plantées dans le bois du comptoir, il se tourna vers la femme du cordonnier. Elle s'appelait Sasha Strauss et était une femme si respectable, si parfaite, si douce. Suisse de naissance, elle avait grandi dans ce village et était la meilleure amie de la mère de notre blond. Ainsi, c'était tout naturel qu'elle avait pris le rôle de confidente pour le petit garçon qu'il avait été quand ses parents l'avaient laissé aux mains de son oncle, espérant le protéger de l'horreur de l'entre-deux-guerres. Même s'ils n'étaient pas morts officiellement, Charles n'espérait plus autant qu'avant les voir arriver au village, acclamés par les habitants, héros des milliers de vies qu'ils avaient sauvées par leur profession, infirmière et médecin.
- Charles Durand, tu m'entends ?
- Pardon... J'étais ailleurs. Tu disais ?
Il était si rare qu'elle l'appelle par son nom de naissance. Si rare, que cette appellation était réservée aux reprises à l'ordre, ou pour ramener notre héro sur terre. Sasha sourit légèrement et passa une main dans ses cheveux blonds avec douceur.
- Je disais que tu peux prendre cet argent, Henri serait d'accord avec moi.
- Hein ? Non... Je refuse. Vous aurez plus besoin de cet argent que moi...
- Va t'acheter le vélo que tu voulais chez Emma.
Le jeune soupira et regarda l'argent déposé. Le couple n'allait pas l'encaisser pour la simple raison que c'était lui qui avait fait les retouches afin d'alléger le travail des époux. Ainsi, tout travail se devait d'être récompensé, même en temps difficiles.
- Allez, va, tu as bien travaillé.
Charles soupira un peu et prit l'argent, le mettant dans sa poche droite, faisant attention à vérifier si celle-ci n'était pas trouée comme sa jumelle. Le jeune sourit doucement à la femme avant de lui faire un petit bisou et de partir en courant.
- À toute !
- Rentre avant qu'il fasse nuit, petit cœur !
Une fois Charles sorti, Henri s'approcha de sa femme pour lui prendre la main.
- J'aurais fait la même chose, chérie.
D'un simple sourire, la Suissesse retourna à son travail.
Ce que seul le blond n'avait pas calculé, c'était que le vélo était le meilleur moyen de fuir discrètement si la situation le présentait. Plus loin, la guerre faisait rage, et le couple, comme tous les parents du village, réfléchissait à une échappatoire pour leurs bambins afin d'au moins sauver la nouvelle génération.
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Tu m'emmeneras avec toi ?
Historische fictieLa France collabore avec l'Allemagne dès 1940. Ce n'est pas dans la capitale, pas dans les grandes métropoles mais en Alsace que nous allons, dans un petit village, hélas non épargné par la présence d'envahisseurs. Voyant son oncle se faire assassi...