Anastasia
Tours – 13 juillet 2023
« J'aurais dû lui dire que »
« Sans doute aurait-il préféré entendre que »
Merde. D'un geste rageur, je m'acharne sur la touche de mon clavier. Certes, il n'est pas responsable de mon échec, mais c'est tout de même lui qui essuie les foudres de ma colère. Injuste, j'en conviens, mais tellement libérateur !
Une fois ma ligne effacée, je m'avachis sur ma chaise avec un soupir sonore. Je fixe mon écran et cette page à la blancheur angoissante. Deux semaines. Voilà bientôt seize jours que je bataille contre mon fichier. Des heures et des heures passées à écrire quelques lignes, à les virer aussi vite et surtout à me morfondre face à mon incompétence. Ou était-ce « médiocrité » ? J'avoue ne plus me souvenir des mots exacts. N'empêche que, depuis le retour violent que j'ai reçu, je n'ai pas réussi à reprendre le dessus. Mon cerveau est comme paralysé, incapable de produire quoi que ce soit. En temps normal, j'aurais laissé tomber et me serais tournée vers autre chose ou bien j'aurais attendu que l'orage passe. Or, cette fois, j'ai un délai à respecter. Cette fichue deadline me colle une pression monstre. Plus j'y pense et plus je m'enlise. Mince, on dirait un mauvais slogan publicitaire ! Venez rencontrer Meghan Holly, l'auteure la moins prolifique et talentueuse de sa génération, messieurs, dames !
Alors que je pouffe en songeant à la mine déconfite de mon éditrice face à une telle banderole, une série de coups résonnent contre ma porte. Par pur reflexe, je lève les yeux vers ma pendule. Qui pourrait bien débarquer à vingt et une heures, un soir de semaine ? Question idiote.
Parce qu'au moment où j'ouvre, ma meilleure amie apparait sur le seuil, une bouteille à la main et un immense sourire aux lèvres.
— Livraison express pour miss Lambert ! chantonne-t-elle en agitant la téquila sous mon nez.
Je m'efface et lui laisse le passage, sans un mot. D'un mouvement souple, elle envoie valser ses escarpins sans même prêter attention à l'endroit où ils échouent et se dirige vers la pièce à vivre.
— J'étais certaine de te trouver en fâcheuse posture, clame-t-elle.
Elle pose sa bouteille sur le comptoir avec une délicatesse toute relative. Puis elle pivote, cale ses reins contre le plan de travail et croise les bras.
— Vas-y. Raconte.
J'inspire profondément, tente de masquer mon désarroi avec un sourire factice. Mais Estelle n'est pas dupe. Elle arque un sourcil, pince les lèvres et attend, mutique, que je daigne lui expliquer les derniers délires de mon cerveau détraqué.
— Ça va, je t'assure.
Silence lourd de sens. Sans prononcer un mot, elle parvient à me mettre assez de pression pour que je lâche le morceau. Je connais ce regard noir : elle va me fixer, me pousser dans mes retranchements jusqu'à ce que je craque.
— C'est juste que... bégayé-je.
Elle déporte son poids sur sa jambe gauche, rajuste une de ses mèches brunes derrière son oreille et continue d'attendre mes explications, qui peinent à venir.
— Que quoi ? s'impatiente-t-elle. Tu devais sortir ce soir, il me semble, non ?
Cette fois, c'est moi qui garde le silence. Pas besoin de lui demander d'où elle tire ses informations : je ne le sais que trop bien.
— Louis m'a appelée, confirme-t-elle.
Traître ! Mes épaules s'affaissent et je retiens à peine un grognement exaspéré.
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Ceux qu'on était [Sous contrat d'édition]
RomancePapa solo d'une ado survoltée, Fabien mène sa vie tambour battant. Sa fille et son job occupent toutes ses journées et les histoires sans lendemain rythment ses nuits. Parce que Fabien se l'est juré : finies, les histoires d'amour. Il a déjà donné e...