Des siècles plus tard, quand le commerce avec les autres royaumes ne fut plus composé que d'un ou deux fruits, mais de dizaines et de centaines de produits, les prix commencèrent à fluctuer. Les choses devinrent très compliquées. Lorsque dix royaumes différents proposèrent de l'ananas, le prix fut réduit à dix kilos de lentilles, et les sujets qui s'étaient dédiés exclusivement à la culture de lentille furent lésés. Le prix de l'avocat, au contraire, explosa, et les différentes noix qu'on pouvait échanger contre de l'avocat firent la chance de leurs cultivateurs.
Le roi de l'époque, ultime descendant du roi dont nous racontions l'histoire, tenta bien de faire quelque chose. Il proposa de mettre en commun tout ce que le royaume produisait, ou bien tout ce qui y entrait, mais les cultivateurs de noix s'y opposèrent fermement. Il proposa de répartir d'une nouvelle façon les tâches dans le royaume, pour que tous cultivent à la fois des lentilles, des noix et d'autres produits. Une fois encore, les cultivateurs de noix s'y opposèrent fermement. Ils ne voyaient pas pourquoi ils devraient renoncer à l'avantage qu'ils avaient, alors qu'ils n'avaient jamais triché pour l'obtenir, jamais rien fait de mal, et toujours, autant que tous les autres, travaillé durement pour assurer la production dont ils avaient la charge.
Les cultivateurs de lentilles, ne pouvant plus subvenir à leurs propres besoins, arrêtèrent de faire venir de l'ananas, et commencèrent à manger leurs propres lentilles, puis à en échanger directement, au sein du royaume, contre des fruits, des légumes, des courges et des noix. Il n'y eut plus d'ananas pour personne, et tout le monde s'en accommoda très bien, surtout les cultivateurs de noix. Ils commencèrent à demander cinquante kilo de lentilles en échange d'une noix et, là, le roi se fâcha. Il tenta d'interdire de faire venir des avocats, mais personne ne l'écouta. Il tenta de fixer le prix de l'échange noix-lentilles, mais personne ne respecta ce dont il avait décidé. Il voulut punir les cultivateurs de noix en leur confisquant leurs plantations et, à ce moment là, on lui opposa que personne n'avait besoin d'un roi.
Le jeune roi tenta de parlementer, d'expliquer, de se faire entendre, mais personne ne l'écoutait. Il parlait de son ancêtre qui avait voulu créer une société idéale, de l'égalité qui régnait autrefois et qui semblait avoir disparu. Il parlait des cultivateurs de lentilles qui commençaient à souffrir de la faim, des ananas auxquels plus personne n'avait le droit, et de toute cette nourriture que les producteurs de noix accumulaient dans un coin car ils n'avaient pas l'estomac assez grand pour la manger. Les producteurs de noix ne voulaient pas écouter. Ils ne comprenaient pas qu'on veuille leur enlever quelque chose qu'ils avaient dûment gagné et, comme le jeune roi devenait rouge de colère, les producteurs de noix devinrent lanceur de noix.
Le jeune roi se fit frapper par des jets de noix qu'on lui envoyait sur la tête et, cherchant à s'enfuir, il glissa sur toutes les noix qui jonchaient le sol. Il tomba la tête la première sur des noix, et sa couronne tomba elle-aussi. Le marché était devenu roi.
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Petits contes d'un monde à la dérive
Siêu nhiênDes histoires de fées, de rois et de reines, pour tenter de répondre à toutes ces questions qui me hantent... Comment en arrives-t-on, collectivement - à passer tant de temps à la poursuite de choses sans valeur ? - à se croire important quand l'on...