Bertier étant passé me prendre à la maison, nous nous réunîmes en fin de matinée, autour d'une table, dans le bureau du commissaire. Tous les deux me racontèrent par le menu tout ce qui s'était passé pendant mon absence.
Ils n'avaient pas chômé. Dès qu'il eut l'autorisation de perquisitionner, Bertier vint de bon matin, accompagné de Martineau et d'une armée de policiers en uniforme, au domicile de Pierre Malandain. Celui-ci fut passé au peigne fin, et les policiers tombèrent, comme par hasard, sur des plaques permettant d'imprimer de faux billets, bien cachées dans sa cave, derrière le bûcher destiné à alimenter sa cheminée.
Les gendarmes avaient donc raison, il était apparemment bien lié à ce trafic.
le maître des lieux, quasiment pris au saut du lit, était complètement ébahi et ne comprenait pas apparemment ce que ces plaques faisaient chez lui. Il nia totalement en connaître l'existence. Puis, il fut emmené manu militari à la PJ pour y être interrogé. Curieusement, sa femme était absente et il ne savait pas où elle était passée.
Après 48 heures de garde à vue et d'interrogatoires, il commença par avouer qu'il avait détourné des fonds de sa société pour combler le déficit chronique de son compte personnel.
Interrogé sans relâche par le commissaire et Bertier, il craqua complètement et évoqua les dépenses excessives de son épouse, ses caprices et le chantage continuel qu'elle exerçait sur lui en menaçant de le quitter, ce qu'il n'aurait pas supporté car il était littéralement fou d'elle.
La victime, totalement sous l'emprise de son bourreau, l'aimait à la folie.
C'était un homme au bout du rouleau, au bord du suicide. Littéralement envoûté par son épouse, il était prêt à faire toutes les folies pour la satisfaire, pendant qu'elle le détruisait à petit feu le poussant toujours plus à entrer dans l'illégalité.
Une sacrée mante religieuse !
Il avoua aussi qu'elle lui avait présenté des amis qui lui prêtèrent de l'argent dans un premier temps, en contrepartie de petits services tels que le transport de cigarettes de contrebande, ou de marchandises volées. Et comme il ne pouvait pas les rembourser puisque le déficit se creusait à cause des caprices de Marie, ils se firent de plus en plus pressants. Il sentait le piège se refermer sur lui et l'angoisse le gagna peu à peu. Comme la proie d'une araignée, il était entortillé dans une toile dont il ne pouvait se dégager.
Et quand elle lui avait fait comprendre, avant le meurtre, que la mort de son père tomberait à point nommé, sa peur avait gagné du terrain.
Lorsque son père avait disparu, il avait secrètement espéré qu'il ne lui était rien arrivé et il avait activement participé aux recherches avec son frère. Et quand son corps fut retrouvé, outre le chagrin qu'il ressentait, il en fut épouvanté, étant à peu près sûr que sa femme était derrière tout cela.
Il jura aux policiers que jamais il ne l'aurait tué, même pour de l'argent. Car, bien qu'il entretenait des relations conflictuelles avec lui, il lui vouait une admiration secrète, pensant que jamais il ne serait à sa hauteur.
Il avoua enfin qu'il était soulagé et préférait la prison au cycle infernal dans lequel il était enfermé. Il serait ainsi à l'abri d'éventuelles représailles de la bande. Il fut interrogé sur l'identité de leurs membres, mais il affirma ignorer leurs noms. Cependant, il ne put en identifier qu'un seul sur les photos qu'on lui présenta. Un dénommé Robert Cacheux.
Contrairement à Marie, celui-ci était fiché comme faisant partie du grand banditisme.
Comment cette femme pouvait-elle avoir un lien avec cette bande ? Mystère ! Un avis de recherche fut lancé contre elle et contre ce malfrat et Pierre fut immédiatement déferré en prison.
Et voilà maintenant que son frère disparaissait ! Dès lors, l'hypothèse qu'André Malandain pouvait se trouver dans les souterrains de Beaumanoir fut évoquée. Etait-ce un enlèvement ? Une fuite ? La fenêtre de son studio à Rouen fracturée, les traces de lutte retrouvées avaient fait pencher la balance en faveur de son enlèvement, mais pour quelle raison ? Etait-il retenu dans ces fameux souterrains ? Et s'il était caché ailleurs ?
Il fallait commencer par là. Si on ne trouvait rien, on élargirait le périmètre des recherches.
— Ces galeries sont nombreuses et très étendues expliquai-je, en déployant le dessin des fameux plans que j'avais recopiés. Ils partent tous dans des directions différentes, mais du même point, c'est à dire de l'ancienne cuisine qui se trouve au sous-sol. L'une d'entre elles va vers l'est et débouche près du mur de soutènement près de la Seine, et une autre vers l'ouest, se divisant en quatre galeries qui débouchent plusieurs kilomètres plus loin dans la forêt à l'extérieur, au nord du domaine, dont une qui aboutit derrière une chapelle abandonnée située au nord-ouest du manoir. La recherche sera ardue, étant donné le nombre de cachettes potentielles. Je suggère que nous nous fassions aider. Pourquoi ne contacterions-nous pas le Colonel Lefrançois qui nous avait auparavant proposé son aide ? Il pourrait nous prêter main forte et ses hommes constitueraient de précieux renforts.
— C'est une très bonne idée, répondit le commissaire. Lefrançois peut mettre beaucoup d'hommes à notre disposition. Je vais aussi demander à Henri Levasseur, ancien camarade de Bernard Malandain dans la résistance, de nous rejoindre, car il connaît bien ces souterrains.
Renouf appela son ami, qui accepta de venir immédiatement à Beaumanoir, puis il nous demanda de passer à l'armurerie prendre des gilets pare-balles et un peu de matériel. On ne sait jamais, des gangsters pouvaient éventuellement s'y cacher et nous tirer dessus.
Auparavant j'appelai Sophie pour lui dire que je rentrerai sûrement très tard, sans pouvoir préciser l'heure de mon retour, et de bien s'enfermer, pour sa sécurité.
Le responsable de l'armurerie demanda quel type d'intervention nous devions faire et nous fournit deux gilets pare-balles, plus un autre pour Levasseur.
— Vous n'irez pas dans les souterrains en costume et en chaussures de ville. Je vais vous prêter des tenues plus appropriées.
Après avoir enfilé nos tenues, une sorte de treillis et de grosses chaussures, nous avions presque l'air de soldats. C'était la première fois, depuis la guerre, que je portais un gilet pare-balles et personnellement, cela renforça mon impression que nous courions un danger réel. Alors je sentis mes tripes se nouer. Cela me rappelait de mauvais souvenirs.
— Et pour vous repérer, reprit-il, il vous faut des boussoles, et aussi des lampes torches, ainsi que des cordages, et je pense qu'une barre à mine pourrait vous être utile. Je vous donne aussi une gourde au cas où vous souhaiteriez boire. Mais attention ! De l'eau uniquement, plaisanta-t-il.
Le tout fut mis dans des sacs à dos. Chacun avait le sien.
— Gilbert, est-ce la première fois que tu fais ce genre d'intervention ? demanda l'armurier.
— Oui, en général mon travail d'enquêteur est bien plus calme, à part ces derniers temps.
— C'est donc ton baptême du feu ! Alors je te souhaite bonne chance !
Et il me fit une tape dans le dos. Et à vous aussi Jacques ! Soyez prudents tous les deux !
Je ne me sentis alors pas rassuré du tout. Je regrettais presque d'avoir accepté de venir. Enfin, il fallait y aller et ne pas se défiler. Je pensai alors à Sophie qui m'attendait à la maison avec son petit être en devenir et, pour la première fois de ma vie, je priai le ciel pour revenir sain et sauf.
(à suivre...)
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Vendetta Normande
Mystery / Thriller1964 : l'inspecteur Lenormand, jeune inspecteur de police de 28 ans, enquête sur la disparition d'un notable rouennais. Son intrépidité et sa curiosité légendaires l'entraînent dans une série d'incroyables aventures à la fois désopilantes et tragiq...