En début d'après-midi, tout le monde se retrouva devant les grilles de Beaumanoir.
Le colonel Lefrançois, Henri Levasseur et Georges Renouf furent heureux de se retrouver après tant d'année. Ils avaient l'impression de revivre les moments exaltants qu'ils avaient vécus ensemble vingt ans auparavant.
Le gendarme et le policier, qui s'étaient jadis rebellés contre les ordres iniques qu'ont leur donnaient, œuvraient de nouveau pour une cause commune, mais cette fois-ci au grand jour.
— Il faut que nous nous organisions, suggéra Renouf. Je propose que les inspecteurs Bertier et Lenormand pénètrent dans les souterrains en entrant par le manoir, et que les gendarmes entrent par les accès extérieurs des galeries dans la forêt, pour prendre les bandits à revers, au cas où.
Le colonel tout à fait d'accord, acquiesça.
— Je pense qu'il serait préférable que je vienne avec les inspecteurs, proposa Levasseur. Je me souviens assez bien de la disposition de ces galeries et mon aide leur sera utile.
— Si vous le permettez, je viens moi aussi avec vous, intervint l'un des gendarmes. Un homme de plus serait le bienvenu. Et en tant qu'ancien artificier, j'ai une certaine expérience en ce qui concerne les explosifs, cela peut servir, on ne sait jamais.
— Je vous ai déjà vu quelque part ! remarquai-je, intrigué, votre visage ne m'est pas inconnu.
— En effet, je suis l'adjudant-chef Dutilleux.
— Ah mais oui, je me rappelle bien de vous ! C'est vous qui m'aviez arrangé le portrait il y a un mois, dis-je en pointant un doigt accusateur vers lui.
— Hélas ! c'est bien moi ! avoua-t-il, et je vous présente à nouveau mes excuses pour cette regrettable erreur !
— Je ne vous en veux plus, répondis-je, magnanime. L'erreur est humaine et il est vrai que c'était un peu de ma faute, mon apparence physique jouait contre moi ce jour-là. Mais, quand même j'étais menotté, je ne pouvais pas me défendre, mais si j'avais pu le faire...
Je laissai ma phrase en suspens. C'était totalement inutile de relancer cette querelle. Ce n'était pas le moment.
— Je vous remercie de nous prêter main forte, repris-je, mais je vous préviens, cela peut être dangereux.
— J'ai l'habitude du danger et je suis heureux de rendre service à la police, répondit le gendarme.
— Eh bien voilà ! maintenant, vous êtes réconciliés, s'impatienta Bertier. Maintenant, on pourrait peut-être y aller, hein ?
Nous quatre, revêtus de nos gilets pare-balles, allâmes donc sonner à la grille du manoir tandis que Renouf et les gendarmes partirent de leur côté dans la forêt située à l'ouest de Beaumanoir.
Justin vint nous ouvrir. La maisonnée avait été prévenue auparavant de l'arrivée des policiers. La maitresse de maison nous accueillit, les yeux brillants de larmes, en proie à une anxiété extrême.
— Messieurs, dit-elle, s'il vous plait, retrouvez mon fils, ramenez le moi sain et sauf !
— Nous ferons tout notre possible, répondit Bertier. Soyez en assurée.
Honorine et Justin nous conduisirent à l'ancienne cuisine en sous-sol.
— Je ne connaissais pas du tout cet accès, s'étonna Henri. Nous avions l'habitude d'entrer dans les souterrains par l'extérieur. Comment diable l'avez-vous trouvé ?
— En consultant les plans que j'ai pu me procurer, et aussi grâce à Honorine qui m'a fait connaitre cet endroit, sinon, je ne l'aurais jamais trouvé tout seul.
J'entrai de nouveau dans le foyer de la cheminée et j'actionnai la fameuse manette sous le regard intrigué de mes compagnons. Comme la fois précédente, le mur de brique s'ouvrit lentement dans un grondement sourd, comme la caverne d'Ali Baba se serait ouverte après la prononciation du fameux « Sésame, ouvre-toi ! ».
Tout ceci était si auréolé de mystère que tout le monde se regarda, intrigué.
J'allumai ma lampe torche, et m'engouffrai dans l'ouverture. Les autres firent de même. Nous descendîmes l'escalier en colimaçon que j'avais déjà emprunté et nous arrivâmes dans une large galerie. Quelques mètres plus loin, celle-ci se divisa en deux souterrains qui partaient dans deux directions opposées.
— J'ai eu l'occasion de prendre la galerie qui mène vers l'est, directement vers la Seine, mais je n'ai jamais eu l'occasion d'explorer l'autre côté, confiai-je à Levasseur.
—Je conseillerai plutôt de prendre justement ce côté-là. Par-là, il y a plus de chances de retrouver une cachette.
Henri prit la tête de l'expédition et nous lui emboîtâmes le pas, éclairés par les faisceaux de nos lampes torches Les souterrains semblaient avoir été creusés à la pioche il y a bien longtemps. Ils avaient dû servir maintes fois de refuge aux fuyards, pendant les siècles précédents, tout au long de l'histoire mouvementée de la Normandie. L'avant-dernière fois qu'ils avaient été utilisés, c'était vingt ans plus tôt, pendant la guerre. Et, de nouveau, ils avaient peut-être resservi, mais à des malfaiteurs, cette fois.
La progression était difficile et nous trébuchions sur des pierres, provenant d'éboulements partiels du plafond. Des rats s'enfuyaient en nous voyant, en poussant de petits couinements affolés. Mais, imperturbablement, nous continuions notre avancée, faisant le moins de bruit possible.
Au bout de plusieurs kilomètres, nous arrivâmes dans une grotte au plafond élevé.
Et là, surprise ! Nous y trouvâmes des armes, des caisses remplies de munitions et de grenades que les résistants avaient laissées. Elles étaient soigneusement adossées le long des parois, ainsi que des fusils dont des Lee Enfield.
Curieusement, nous remarquâmes qu'elles n'étaient pas recouvertes de toiles d'araignées ou de poussière, comme si elles étaient arrivées là récemment.
— Holà ! Il y a de quoi faire sauter toutes les galeries avec cet arsenal, et même toute la forêt, observa Dutilleux. Voyons une autre caisse.
Il me demanda de lui donner la barre à mine et entreprit d'en ouvrir une autre .
— Tiens, très intéressant ! continua-t-il, des pains de plastiques, des câbles, des détonateurs, et aussi quelques mèches. Tout cela devait sûrement servir à faire sauter toutes sortes de choses pendant la guerre, comme des ponts ou des voies de chemin de fer, par exemple !
Pendant qu'il parlait, Levasseur braquait sa lampe sur le plafond de la grotte : il était très haut, et on y voyait des racines d'arbres pendre dans le vide.
— Les racines que vous voyez, expliqua-t-il, ce sont celles des arbres de la forêt au-dessus. Il n'y a presque plus de sol, et la moindre secousse peut tout faire écrouler. Dans un futur proche, ce plafond tombera sûrement et la végétation avec. C'est un problème qui perdure depuis des décennies. Nous l'avions déjà constaté bien avant la guerre, quand j'étais garde-forestier et nous avions remarqué que des arbres dépérissaient déjà à cet endroit.
Je me rappelai alors les paroles du professeur O'Reilly. Il disait la même chose.
Henri reprit la parole.
— Je me souviens qu'il y avait une sorte de salle au fond, fermée par une porte, et éclairée par une sorte de puits de lumière qui y apportait un peu d'air. Peut-être une cellule du temps jadis ? Allons voir par là.
Nous nous approchâmes de la lourde porte en chêne, munie d'un judas. Soudain, des coups sourds et des cris étouffés se firent entendre. Je m'avançai vers la porte et ouvris le judas.
— André, vous êtes là ? criai-je
Une hirsute tête brune surgit brusquement derrière le grillage.
— Qui que vous soyez, sortez-moi de là ! s'écria-t-il. Sortez-moi de là, par pitié !
(à suivre...)
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Vendetta Normande
Gizem / Gerilim1964 : l'inspecteur Lenormand, jeune inspecteur de police de 28 ans, enquête sur la disparition d'un notable rouennais. Son intrépidité et sa curiosité légendaires l'entraînent dans une série d'incroyables aventures à la fois désopilantes et tragiq...