Chapitre 1 ✩

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- Rupert ? Rupert, réveille-toi.

-Il est deux heures du matin, Derya. Qu'est ce que tu veux ?

-J'ai besoin de toi. Tu peux m'aider ?

Il sort de son lit en se frottant les yeux et me suit dans la salle de bain, en silence.

On risquerait de réveiller notre mère et son copain. Quant à leur fils, il pourrait y avoir une explosion, il dormirait encore.

Je baisse les yeux, un peu honteuse, et tends mes bras vers lui.

- Mes bandages ne veulent pas tenir. Tu pourrais me les refaire ? S'il te plaît.

Il contemple mes bras, silencieux.

- Putain Derya, c'est profond.

Il n'a rien dit d'autre, il s'est occupé de moi, sans un mot. Ça faisait longtemps que cela n'était plus arrivé. Nos soirées, assis sur le carrelage, à le regarder se battre contre des bouts de sparadraps.

Évidemment, il s'en colle deux ou trois sur le visage pour faire l'andouille, me décochant un sourire.

Après dix longues minutes, on retourne dans nos chambres respectives. Mais le soleil se montre bien vite ce matin, ce qui m'oblige à me lever, sans avoir dormi.

- Dit moi Dédé, tu penses que ton frère va se lever un jour ?

-Dis-moi All, tu penses qu'un jour tu pourras vivre sans être désagréable ?

Pas de réponse. Juste un regard désapprobateur de la part de ma maman et de son mari.

-Écoute, il a mal dormi, il se lèvera plus tard. Il ne travaille pas aujourd'hui, de toute façon.

Je ne lui laisse pas le temps de répondre, j'embrasse ma mère et m'en vais au lycée. J'y vais à pied. J'aime bien, ça me permet de réfléchir.

J'en profite pour m'arrêter et acheter des bonbons au magasin. C'est pour mon frère. C'est notre tradition.

Il y a sept ans, j'avais neuf ans, lui en avait douze. J'avais chapardé un couteau à la cuisine pour découper du carton. Je voulais faire un cadeau à ma maman, pour me faire pardonner d'avoir cassé son rouge à lèvres. Je n'ai pas réussi à le finir, ce qui m'a frustré. J'ai voulu me punir, alors je me suis entaillé avec le couteau. Ça a beaucoup saigné, j'ai paniqué. J'avais peur que mon père me frappe ou que ma maman me dispute. Alors, j'ai demandé de l'aide à Rupert. Il m'a aidé, n'a rien dit à personne. Il avait l'habitude de s'occuper de moi. Pour le remercier, j'avais volé un bonbon à une copine et je le lui avait donné. Comme ça l'avait fait sourire,j'ai continué à chaque fois qu'il m'aidait.

En me baladant entre les rayons, j'ai entendu une voix qui me disait bonjour. C'était Achlys, le garçon que mes yeux aiment tant. On a toujours été dans le même établissement, on s'entend bien. Il ne c'est jamais rien passé entre nous. Ni même de l'amitié. Je le salue en retour d'un geste de la main, sans me priver de rougir.

Ma journée avait été laborieuse et j'étais soulagé à l'idée de retrouver ma chambre. Je suis d'habord allez toquer à la porte de Rupert. Je n'eu aucune réponse. J'ai ouvert la porte, il était allongé sur son lit. Il a tourné sa tête vers moi, juste assez pour me voir.

Je me suis avancé, et me suis assis sur le bout de son lit. Je lui ai tendu le petit paquet de bonbons. Il s'est redressé légèrement, puis, en souriant, m'a interrogé peu sérieusement :

- Tu ne l'as pas volé cette fois ? il sourit.

Il prend le paquet et l'ouvre, lentement.

-Tu en veux un ?

Il m'a tendu un bout de fraise, ses bonbons préféré.

Il n'y a pas touché, il est soucieux. Cela fait quelques jours qu'il est complètement amorphe.

J'ai calé ma tête au creux de son coup. On est resté de longues minutes comme ça.

Il sait que je vois son air triste, ses yeux qui brillent et ses lèvres qui tremblent. Je ne dis rien. Il se confira tout seul, dans quelques minutes. Quelques secondes.

- Je vais partir à l'armée.

Mon corps entier sursauta. Mes lèvres se sont ouvertes, mais aucun son ne s'en est échappé.

- Je ne veux pas te laisser seul, Dery. Je t'aime, tu sais.

"Dery". Ce surnom que j'avais presque oublié. Il avait résonné dans ma tête. Il ne voulait plus en sortir.

-Je veux que ma vie serve. Je veux la mettre au service de quelqu'un qui en fera une chose utile.

"Dery".

- Je tiens trop peu à mon existence pour en faire quelque chose de convenable.

-Et maman ? Maman le sait ?

Son expression fut surprise par autant de spontanéité, ma foi peu attendue, même par moi.

Et puis on ne s'inquiétait jamais vraiment de l'opinion de notre mère.

Je voulais que cette fois, et pour une énième, elle ne soit pas d'accord.

Rupert serait brillant à l'armée. C'est exactement ce qu'il lui faut. Ça lui donnera un but, un sens. Mais je suis égoïste.

Je sais pertinemment que sans lui, ma vie sera de nouveau un enfer. Il m'a sauvé tellement de fois. De notre père, de personnes, aussi insignifiantes soient-elles, de moi. De moi-même.

Et puis il me l'a dit, un jour. Que, moi aussi, je l'avais aidé.

Un jour où l'atmosphère grisâtre qui régnait depuis des jours, était petit à petit chassée par le soleil.

J'avais onze ans, lui quatorze.

"Dery, je t'aime moi. Sans toi, je ne me serais pas battu contre papa. Je n'aurais eu aucune raison de le faire. Il m'aurait tué, depuis longtemps."

"Dery". Un "Dery" est tout le temps suivi par un "je t'aime". Quant à un "je t'aime", de nos jours, il est souvent suivi d'une mauvaise nouvelle.

Pas chez Rupert.

Il me le dit plus que quiconque.

Chaque fois que mon regard croise le sien, il me le dit. Chaque fois qu'une larme vient troubler la couleur de mes yeux, il me le dit. Chaque fois qu'une nouvelle entaille se forme à l'intérieur de mon cœur, il me le dit. Chaque fois qu'une nouvelle entaille se forme à l'extérieur de mon corps, il me le dit.

Je lui dis, aussi.

Je lui dis en collant ma tête contre son épaule. Je lui dis en posant mon oreille contre son cœur. Je lui dis en entremêlant mes doigts dans les siens. Je lui dis en déposant mes lèvres sur son front.

- Maman est ravie, d'après elle, j'ai enfin trouvé quelque chose qui me sortira de ma chambre.

- Tu m'étonnes qu'elle soit ravie. Un enfant de moins à élever, une personne en moins pour détester son mari.

- Je pense qu'elle était sincèrement contente pour moi. Ce n'est pas une si mauvaise mère, au fond.

Mon visage se renfrogna. "Elle a juste pris des mauvaises décisions. Elle aussi a été une victime". C'est la phrase dont il se sert pour excuser notre mère. Et, au fond, je suis d'accord.

- Tu pourrais faire quelque chose pour moi, Derya?

Je ne répondis pas, mais lui fit comprendre que j'étais attentive.

- Je ne veux plus de bonbons.

- Pardon ?

- J'ai envie que tu essayes d'arrêter ton addiction. Tu seras seul quand je partirai. C'était profond la dernière fois, ça l'est de plus en plus. Je n'ai pas envie que tu meurs , et si maman le découvrait, tu finirais à la rue.

-Je vais essayer.

Mensonge.

-Merci, Dery. Je t'aime.

On a dormi ensemble, cette nuit-là.

Les Amants De L'amnésieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant