✧ 02. Ce qu'il reste de nous ✧

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Le Bal de l'Hiver devait être le plus beau soir de ma vie

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Le Bal de l'Hiver devait être le plus beau soir de ma vie. Il signait mon entrée dans le monde, sacro-sainte nuit me permettant d'être considérée comme « digne » du regard des hommes. Autant dire que je n'avais pas hâte.

La reine Alina m'avait offert une robe pour l'occasion : d'un bleu nuit gothique, dont la dentelle ne laissait que de peu d'imagination quant à la naissance de ma poitrine. Mes boucles d'oreille en pétales de pierre-soleil étaient un cadeau de mes parents feus ; les porter était le dernier hommage que je pouvais leur rendre. Elles s'accordaient à la perfection avec ma tiare étincelante, sertie de cristaux brillant comme autant de larmes de pégase. Mes cheveux étaient absolument parfaits.

Tout l'était.

En apparence.

La princesse Saera était venue me trouver dans ma chambre, excitée comme avant chaque bal – elle aimait danser, Saera, elle avait le cœur tempête et l'âme libre.

Avachie sur l'une de mes méridiennes couleur perle, sa robe rouge tombait en voiles rubis sur ses formes plantureuses, de manière presque indécente.

Elle cueillait nonchalamment des grains de raisin pour les porter à ses lèvres, réhaussées d'un rouge béryl, comme le royaume auquel appartenait son fiancé.

— Dis-moi le fond de ta pensée, s'amuse-t-elle en notant mon regard dubitatif.

— Cette tenue est un peu...

— Osée ? J'espère bien ! C'est le but.

Saera se lève, virevolte autour de moi comme une actrice habituée à donner la réplique. Sa tenue dévoile l'opale de ses jambes laiteuses.

— Le prince Béryl ne me porte aucune attention. Cela doit cesser.

— Sais-tu pourquoi ? Vous étiez si proches l'été dernier.

— Certains te diront que l'automne est passé. Suivi de l'hiver. Et je n'ai toujours rien reçu de sa part. Ni lettre, ni bijou, ni quoi que ce soit. Alors voilà : si le prince Béryl ne veut pas venir à moi, je viendrai à lui.

De sa moue boudeuse, elle grignote les grains avec avidité. Personne ne dit non à la princesse Tempête.

Elle ne veut pas le montrer, mais elle est blessée.

— Je lui ai trop donné l'été dernier. Nous avons été intimes et il pense pouvoir me posséder parce que nous avons échangé quelques caresses. Ce serait très mal me connaître. La princesse du Royaume Tempête n'est pas un jouet dont il peut se débarrasser quand l'envie lui en prend. Et je vais bien lui faire comprendre avec cette robe outrageusement déplacée. La rumeur parcourra tout le pays. Tout le continent ! Et crois-moi, Vaella, je compte bien profiter des festivités tout autant que toi. Après tout, Caden Feudestin n'est que mon promis. Les autres hommes ont encore le droit de me courtiser jusqu'à notre mariage. Et je ne vais pas me gêner pour en abuser.

Saera est connue pour ses accès de colère mais je ne la pensais pas capable de pousser son promis, Caden, dans ses retranchements. Elle risque d'attirer le courroux du royaume Béryl... et de ses parents.

— Et la reine...

— Ma mère peut aller se faire voir ! Surtout que je ne t'ai pas tout dit.

Son air de conspiratrice m'arrache un sourire. Saera n'a jamais aimé suivre les règles.

— Cette robe a été conçue par la couturière de la première épouse du roi Béryl, ce qui explique la couleur rouge. Cette brave travailleuse a été indélicatement "remplacée" à la cour quand il a pris une nouvelle épouse. Comme le reste de leur personnel, d'ailleurs. Donc je l'ai retrouvée et je lui ai demandé de me faire sa plus belle création. Voilà le résultat !

J'aurais dû me douter que quelque chose ne tournait pas rond. Que tout ce rouge était déjà un mauvais présage quand la cour Tempête ne porte que du bleu. Mais Saera était bien plus qu'une princesse ; elle était un rayon de soleil, illuminant la pièce d'un de ses sourires, ses prunelles espiègles faisant fondre les cœurs.

Était.

Je ne peux pas croire que je parle déjà d'elle au passé.

Nous haïssions ensemble les conventions et le fait d'être des femmes dans un monde gouverné par les hommes. De n'être qu'un objet de désir que l'on exhibe à son bras et que l'on achète plus ou moins cher.

Et encore. J'aurais été chanceuse, car notre royaume traite ses femmes bien mieux que d'autres contrées, et nombreuses d'entre elles deviennent guerrières, commerçantes ou enseignantes.

Je suis née sous une bonne étoile : ma vie était paisible, facile et sans remous, à la cour. J'aurais pu naître dans les marécages du Royaume Saphir ou dans un couvent du Royaume Soleil.

Ce soir, je devais danser au bras des plus beaux hommes du pays, et j'aurais dû rayonner sous les chandeliers, bercée par une douce mélopée et le ventre rempli.

La seule ombre au tableau ? Cette ressemblance parfois troublante avec la princesse et les rumeurs qui m'entouraient. Ce qui était clairement supportable.

Souvent, je dressais la liste de tout ce que je possédais et je réalisais combien je suis chanceuse, oui.

Mais peut-être que ce soir, ma destinée vient de s'effondrer.

the opal crown ☾ 𝐫𝐨𝐦𝐚𝐧𝐭𝐚𝐬𝐲 𝐘𝐀Où les histoires vivent. Découvrez maintenant