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Par chance, la nuit au sein de la forêt a perpétué sans encombres. La bête tapie dans les fourrés s'est dispensée de tenter quelconque approche. La jeune fille est surprise également, non sans que cela réfute l'agréable, d'avoir apprécié son sommeil sans pâtir du moindre ronflement de la part de Macabre. Sa respiration a été paisible et sans heurt. Je ronfle quand je cuve, a-t-il affirmé, c'est tout. J'ai entendu parler d'un voleur très recherché qui a fait l'erreur de s'endormir dehors en pleine battue aux loups, a-t-il ajouté, les villageois ne l'auraient pas détecté à trois mètres si son nez n'avait pas fait un bruit aussi abominable. Il n'en savait rien, personne ne lui avait jamais fait remarquer, il vaquait seul depuis des décennies. Il a été exécuté avant l'aube. Parfois la vie, ça se joue à ça.

Ils ont levé le camp et ont repris le chemin jusqu'à la lisière de Nuttyman. Les bosquets s'écartent au fil de leur progression, les petits oiseaux osent chanter, l'atmosphère se détend, transposant ainsi les grands pins criblés de houx en de modestes noisetiers filtrant la lumière par un étalage vert émeraude. Et tu veux me faire croire que pour survivre, tu as appris à ne ronfler que quand tu cuves ? a-t-elle répliqué avec incrédulité. Non, c'est parce que je ne ronfles que quand je cuve que je suis encore en vie, a-t-il répondu, c'est l'inverse.

– C'est comme les girafes.

– C'est quoi un girafe ?

– Un cheval tâcheté à long cou.

– Alors quoi les girafes ?

– Ce n'est pas pour survivre qu'elles ont étiré leur cou, c'est parce qu'elles ont un long cou qu'elles survivent mieux.

– Hein ?

– Celles qui ont un plus long cou que les autres peuvent mieux attraper les feuilles. Elles se nourrissent plus et donc se reproduisent. Comme les bébés reprennent les caractéristiques de leurs parents, ils auront un long cou aussi. C'est une sorte de métamorphose héréditaire. Tu as entendu parler de ces créatures extraordinaires retrouvées sous la terre ? Je pense qu'elles n'ont pas survécu parce qu'elles n'avaient pas un cou assez long, ou bien qu'elles ronflaient la nuit.

–  Tu te rends compte de l'absurdité de ce que tu dis ? Ton truc là, il est plus métaphysique que scientifique si tu veux mon avis.

– Les grecs le pensaient.

– C'est obsolète.

– En tout cas j'y crois.

– Désolée mais personne ne prouvera jamais ça.

Finalement ils émergent de nouveau sur la prairie. Les ronces qui étouffaient le chemin s'écartent pour une terre piétinée un peu boueuse. Il ne leur suffit que de quelques milles pour apercevoir les prémisses de la grande ville, belles campagnes festoyées de pittoresques maisonnettes. Cela arrache un frisson glacé à la brunette. Ils sont déjà si près de Grasteaune ? Où est la frontière ? Elle essaie de se remémorer le détail des lignes scindant sa carte, effectuant un enchaînement de calculs inutiles, jusqu'à pratiquement rater du coin de l'œil le cairn qui la délimite. Ils l'ont dépassée d'une dizaine de pas quand elle fait volte-face sur son siège en sursautant. Une borne taillée domine l'amas de pierres, peinte d'un nouveau symbole sur le côté pile, et celui qu'elle connait si bien du côté face. Elle bondit par-dessus la carriole, emportant avec elle la surprise du mercenaire.

Dans une envie folle d'enlacer l'horizon du regard, elle gravit le petit monticule, bien haut et bien majestueux tout d'un coup. Le soleil d'hiver perce à travers les nuages, offrant une constellation de cercles mordorés sur la magnifique plaine de sa naissance.

Macabre prononce avec une infinie délicatesse :

– Tu n'as jamais quitté la région, n'est-ce pas ?

Desmodontinae BonaparteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant