Partie 2 : La colère

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Est-ce qu'il y a quelque chose de pire que de renverser son café du matin ? Renverser son café tous les matins. Lorsqu'il avait dû fixer des critères pour choisir un appartement il s'était mis en tête qu'une petite cuisine serait l'idéal. Loin d'être un amateur de cuisine mais plus un fervent adepte des livraisons, il n'avait simplement pas anticipé son quotidien. Comment est-ce que j'aurai pu imaginer que ce minuscule espace allait me mettre en colère tous les matins ? Ce minuscule espace, ou autre chose. Depuis qu'il avait emménagé ou plutôt depuis qu'il avait eu cette discussion avec Damien il avait cette boule dans son estomac qui ne le quittait jamais, ce n'était pas de l'angoisse, ce n'était pas non plus de la tristesse, elle se situait quelque part entre la haine et la colère et le moindre petit événement menaçait de percer cette boule. Le café du matin renversé. La file trop longue à la boulangerie. Les Parisiens trop pressés. Les températures trop froides. La batterie de téléphone qui se décharge trop vite. Le burger qui arrive froid. La météo qui se trompe. La voisine qui fait claquer la porte à chaque fois qu'elle rentre ou sort de chez elle. Le jaune de l'œuf qui se casse dans la poêle. Mon visage insipide, tous les matins dans la glace. On avait beau lui répéter que cet appartement était le signe d'un nouveau départ, il n'arrivait pas à s'en convaincre. Bien au contraire. Savoir qu'il pensait l'exact inverse et qu'inconsciemment on lui disait qu'il se trompait nourrissait cette boule. Comment est-ce que me retrouver ici pourrait être synonyme d'un nouveau départ ? Mon quotidien est rythmé par les catastrophes. Certains jours elle était plus imposante que d'autres, l'empêchant parfois même de manger, menaçant à chaque instant de déverser son liquide obscur dans les moindres recoins de son corps. En voyant la mare de café sur le sol, la boule grossit encore un peu plus. Si moi je suis là à nettoyer du café dès mon réveil, toi qu'est-ce que tu fais Alice ? Est-ce que tu dors ? Est-ce que tu es au travail ? Est-ce que tu connais toi aussi des catastrophes tous les matins ? Est-ce que tu as dormi avec quelqu'un cette nuit ? Son rythme cardiaque s'accéléra tandis qu'il épongeait sa boisson, à deux doigts de balancer son éponge, il souffla longuement. C'est de ta faute si je suis par terre à nettoyer du café mais tu finiras par le regretter, par me regretter.

Bien qu'il eût reprit le travail avec un rythme moins soutenu qu'auparavant, il avait remarqué à quel point cela lui faisait du bien. Son esprit était plus léger, il se concentrait sur des choses qui le faisait avancer mais surtout qui le faisait se projeter dans un mois, dans un an. Son entreprise lui donnait un cadre pour éviter de sombrer. Damien lui avait dans un premier temps laissé l'espace dont il avait besoin et le sujet Alice n'avait plus jamais été abordé. Même si certains regards ne trompent pas. Il s'inquiétait, il le savait. Ça partait d'un bon sentiment, il le savait également. Mais il ne pouvait pas s'empêcher d'être agacé. Au lieu de me surveiller ne pourrait-il pas simplement me parler ? Mais une discussion n'était pas ce dont il avait besoin, il avait besoin d'air et qu'on ne le regarde surtout pas comme une pauvre petite chose abandonnée sur le bord de la route. Il n'avait jamais aimé être au centre de l'attention, surtout lorsqu'on le regardait avec pitié. A bien y réfléchir ce n'était pas uniquement Damien qui prenait des gants avec lui mais ses autres amis aussi, ses parents, sa sœur. Peut-être même le boulanger en bas de chez moi. Même s'il était possible que le boulanger eût plus pitié de son sweat troué. Il sentait qu'on faisait plus attention à lui, lorsqu'il était invité on lui faisait ses plats préférés, il retrouvait toujours ses amis dans ses lieux préférés, on l'invitait à aller au cinéma pour voir les films qu'il était le seul à vouloir voir, on prenait de ses nouvelles plus régulièrement. Il était devenu la personne qu'on devait aider à aller mieux, l'aider à soigner ses plaies, l'aider à aller de l'avant. Comme si je n'en étais pas capable tout seul. L'écran de son ordinateur se mis en veille, le volume de sa boule augmenta.

Farewell, AliceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant