Les cheveux au vent, je prends de la vitesse et pédale de plus en plus vite. Les roues de mon vélo roulent sur les sentiers perdus et les cailloux, pour finir par rencontrer une surface enfin plate et lisse. La campagne laisse place à la ville. Les arbres aux gens, le silence au brouhaha, le chant des oiseaux aux rires et aux discussions enjouées.
Je continue de pédaler, plus lentement cette fois, prêtant attention à ce qu'il se passe autour de moi : je contemple les nombreux stands de nourriture entassés en fil indienne, les vendeurs beuglant en faisant l'éloge de leurs produits, les enfants courant de partout, les mamies avec leur panier de courses, les pères qui s'échangent des poignées de main, les mamans qui se réunissent au café du coin.
Ça grouille de monde, de partout. Ça grouille de vie. J'ai l'impression d'être là spectatrice de tout ce petit monde, observant les autres vivres avec entrain, tandis que je reste un peu à l'écart. Ça ne me dérange pas. J'ai toujours aimé ça. Observer. Je n'ai pas l'habitude d'être dans la société. Ma famille et moi sommes de nature solitaire. Solitaires avec les autres, mais soudés entre nous. Papa disait qu'on était bien mieux entre nous. Je l'ai cru, et je le crois encore.
Nous n'apparaissons dans la vie active uniquement pour faire nos courses et visiter les quelques amies de maman qui, elles, résident près du royaume. À part ça, nous nous contentons de rester dans notre campagne, éloignée des regards et des commérages.
Je descends de mon vélo et, tout en le poussant d'une main, je m'avance vers un immeuble aux murs décrépis. Des affiches ont été placardées un peu partout sur les murs. On peut y lire les mots suivants, écrits en gros :
TON SACRIFICE POUR L'AVANCÉE DE TOUS.
Notre devise. La devise du royaume de la Rose.
Je parcours du regard les lettres, les sourcils froncés. J'ai beau connaître cette devise depuis ma naissance, je n'arrive toujours pas à bien saisir le sens des mots.
Ton sacrifice pour l'avancée de tous.
Cela doit sûrement faire allusion aux sacrifices que nous sommes tous prêts à prendre pour la reine et le royaume. Protéger notre nation du monde extérieur, qui est connu pour être dangereux et inhumain. Je n'ai jamais mis un pied dehors, mais je ne veux pas m'y risquer : maman m'a déjà assez avertie sur les dangers qui y règnent. Notre peuple aussi raconte beaucoup de choses horribles à ce sujet : de gros et poilus animaux se jetteraient sur tout ce qui bouge, des cannibales marcheraient comme des zombies à la recherche de chair fraîche... Des rumeurs aussi absurdes qu'inquiétantes.
De toute façon, même si je le voulais, ce n'est pas comme si je pouvais sortir quand cela me chante : depuis toujours, notre nation est protégée par de grands et larges murs qui entourent la totalité de nos habitations. Ils nous épargnent alors l'horreur qui doit sûrement se dérouler à l'extérieur.
Je lève les yeux vers le royaume. Sa grande bâtisse se dessine au loin. Autour d'elle, une vingtaine de gardes armés de pistolet et habillés de noir se tiennent droits et immobiles. Le bas de leur visage est camouflé par un masque noir. Seuls leurs yeux restent visibles et leur donne un tant soit peu d'humanité. Le reste du temps, on dirait des robots.
Je parcours du regard les hauts murs et les portes blindées du royaume. Aucun de nous ne sait ce qu'il se passe à l'intérieur, comment les gens du royaume vivent, comment ils occupent leur journées... La bâtisse est si grande qu'elle doit au moins y abriter une centaine de personnes de haute classe sociale.
Parfois, lorsqu'il fait assez tard, que tout est silencieux et que j'ouvre en grand la fenêtre de ma chambre, je parviens à discerner une sorte de bruit de foule provenant du royaume. Et si je plisse assez les yeux, j'aperçois de temps en temps des éclats de lumière. Ils ne durent jamais bien longtemps et apparaissent si vite que je me demande souvent si ce n'est pas mon imagination qui me joue des tours.
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ÉLUS
Action« - Mon sacrifice pour l'avancée de tous. » Telle est la devise de notre nation. ᯽ Une fois par an, une quarantaine de jeunes sont choisis afin de devenir l'espoir et la fierté de leur peuple. On les appelle les Élus. Loyaux et fidèle protection de...