CHAPITRE 1

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La fenêtre ouverte de ma chambre laisse passer une brise fraîche. Cette dernière me caresse le visage et se faufile dans mes cheveux. Je ferme un instant les yeux, profitant de ce sentiment de béatitude qui m'envahit.

« - Inès... Allez... »

Un sourire se dessine sur mes lèvres lorsque j'ouvre les yeux pour les poser sur le petit garçon affalé entre mes jambes. La voix fluette de mon petit frère proteste une seconde fois, impatiente :

« - Continue l'histoire. »

Je ne peux m'empêcher de sourire devant cette petite bouille boudeuse. Il se retourne vers le livre posé sur ses genoux et appuie sa tête sur ma poitrine, tentant de trouver une position plus confortable pour écouter la suite de l'histoire.

Je caresse d'une main ses cheveux châtain ébouriffés et tourne les pages de l'autre, le sourire toujours aux lèvres en voyant son air si concentré.

« - Le royaume de la Rose a toujours prit soin de nourrir et de protéger son peuple. La reine, Priscilla, n'a jamais manqué à aucun de ses devoirs et s'est toujours efforcée de protéger sa nation des dangers du monde extérieur. »

Ian s'agite un peu. Je marque une pause, lui laissant le temps de changer de position. Un petit sourire se dessine au coin de mes lèvres.

A six ans, on ne tient pas en place.

Après m'être assurée qu'il était de nouveau attentif, je continue ma lecture :

« - Cela fait longtemps que le royaume de la Rose n'a pas connu de guerres. La reine Priscilla s'assure de maintenir la sécurité et la liberté de son peuple, en faisant appel aux Élus. »

La respiration de mon petit frère se fait plus régulière. Du coin de l'œil, je le vois s'assoupir contre moi, la tête penchée sur le côté.

« - Les Élus sont de fidèles serviteurs et combattants de la reine. Ils luttent pour la justice, le respect des lois et la protection du royaume. »

Ian s'est totalement endormi, à présent. Je le prends délicatement dans mes bras et le couché à côté de moi, sur le lit. J'observe un instant son visage rond, ses joues roses et son air si paisible.

Je referme ensuite le livre et caresse du doigt le symbole gravé sur la couverture : une rose courbée. Le symbole de notre royaume. Le royaume de la Rose.

L'histoire que je viens de lire à Ian n'a pas été écrite ou créée par un écrivain à l'imagination débordante ou par une ado qui s'amusait à passer le temps...

C'est notre histoire.

Mon peuple vit sous les lois et la protection de notre reine, Priscilla. Je l'ai déjà vue à la télé, quelques fois : grande, élancée et le regard doux, elle dirige notre nation depuis une dizaine d'années. Auparavant, c'était sa mère qui était aux commandes, mais elle est décédée d'une maladie dont on ignore l'origine. On en sait pas plus : le royaume ne s'est pas étendue sur le sujet. Priscilla s'est donc mise à la tête des commandes.

Je laisse mon regard errer dehors : au-delà des arbres et des modestes habitations, le royaume s'étend au milieu de la place, immense et resplendissant. Ses hautes pointes majestueuses semblent vouloir toucher le ciel.

Le royaume de la Rose surplombe nos habitations, le rendant encore plus impressionnant. Notre reine Priscilla y réside, ainsi que certains de ses acolytes et ceux faisant partie de la haute classe sociale.

Maman, Ian et moi faisons partie du peuple - la moyenne classe, - nous n'avons donc jamais mis les pieds à l'intérieur du royaume. Je ne m'en plains pas, j'aime ma vie tranquille aux côtés de ceux que j'aime.

La plupart des ados de mon âge rêveraient d'entrer dans le royaume et de côtoyer les plus grands. Il y a bien un moyen : tous les ans, le royaume recueille une quarantaine de jeunes et leur accorde la chance de servir notre reine et de protéger leur nation. On les appelle les Élus.

Ils ont alors la possibilité de connaître la réussite, le succès et le respect et la reconnaissance du royaume et de notre reine.

Je me lève pour fermer la fenêtre. La vision du royaume au loin disparaît derrière les rideaux violets de ma chambre.

J'attrape ensuite le livre qui résume l'histoire du royaume et le pose sur ma table de chevet, à côté de la photo de papa et moi. Mes yeux parcourent nos visages détendus et rayonnants. La ressemblance entre lui et moi est frappante : les mêmes yeux noisette, les mêmes cheveux brun, le même nez retroussé.

Je secoue la tête, refusant de plonger dans les souvenirs et la nostalgie.

Sois dans l'instant présent. Le passé est passé.

Je me tourne vers Ian avec un sourire attendri et rabat la couverture sur lui. Il gigote un instant puis s'immobilise totalement, sa poitrine se soulevant doucement au gré de ses respirations.

Je reste là, figée au milieu de la chambre. Je contemple mes rideaux violets, mon petit bureau au coin de la pièce, mon étagère remplie de bouquins, les nombreuses photos accrochées aux murs. On y voit papa, maman, Ian et moi, tout sourires.

Les rayons du soleil de midi filtrent à travers les rideaux et apportent une atmosphère soudain mélancolique, nostalgique. Comme un doudou ou un livre d'enfance qu'on retrouve après tant d'années.

Demain, je vais avoir dix-huit ans. Et je vais peut-être quitter cette chambre pour toujours.

Je serai peut-être choisie pour faire partie des Élus. Je n'ai pas envie de quitter la maison, de laisser Ian et maman seuls. Le succès ou la reconnaissance m'importe peu : tout ce qui compte pour moi, c'est de prendre soin des derniers membres restants de ma famille. Comme me l'a fait promettre papa.

J'inspire et expire longuement plusieurs fois, les yeux fermés.

Notre peuple compte tellement de jeunes... Seulement quarante d'entre nous seront choisis.

Je rouvre les yeux et me redresse, déterminée.

Tu as 10% de chance d'être sélectionnée. Ce n'est pas beaucoup.

Un sourire confiant se dessine sur mes lèvres.

Demain, tu ne sera pas choisie. Ni les années d'après, ni jamais.

Je hoche la tête, laissant ces pensées me pénétrer et s'imprégner en moi, devenant ainsi une affirmation, un fait.

Demain, je ne serai pas choisie.

Malgré tout, un doute subsiste en moi.

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