Le vieux patron était fané. Lysandre ne pouvait penser à aucun synonyme. Il avait même l'odeur poussiéreuse du pot-pourri de sa grand-mère. Une odeur qui le rendait doublement nostalgique. Le parfum flétri des pétales décolorés par le soleil hantait son appartement comme un visage du passé sur une photo jaunie... Il avait posé le bouquet récupéré quelques semaines plus tôt sur sa petite table de cuisine sans même prendre la peine de lui offrir à boire. Cette intrusion dans son espace privé réveillait son anxiété.
Pour un passionné de nature comme il prétendait l'être, son appartement de la taille d'une maison de poupée était bien triste. Pas la moindre plante verte, pas même un petit cactus. La tapisserie autrefois ornée de fleurs bleues se décollait dans le coin des murs humides, et le vent d'automne qui s'infiltrait entre les carreaux sales de la fenêtre la faisait danser. L'évier en faïence témoignait de longues heures de cuisine épicée. Que Lysandre n'avait jamais goûté. Au deuxième étage d'un bâtiment sans ascenseur après une série de marches en bois creusées par les pas de nombreux résidents de toutes les époques, le deux-pièces avait connu beaucoup de personnes âgées avec un budget serré qui les obligeait à tolérer les dangereux escaliers.
Lysandre ne cherchait pas un beau logement moderne et tout équipé ; la baignoire à pied ressemblant à une gargouille et la pression inexistante des robinets lui convenait parfaitement. Il s'y sentait en sécurité, dans son chez- lui sombre et un peu étroit. La décoration n'était pas de lui, sauf si le mobile plein de perles qui ne s'accordaient pas et la collection de jolis papiers empilés sur la table de chevet étaient de la décoration. Il adorait les papiers à motifs, ou ceux de couleurs. Pour emballer les bouquets, ils en utilisaient de très mignons. Lysandre en avait « oublié » dans ses poches plus d'une fois. Mais le dernier papier de la pile n'était pas un chapardage discret. Il avait ignoré le cadeau périssable de l'inconnu mais en avait conservé l'enveloppe peinte. Allait-il de nouveau oublier le visage juvénile ? Il l'espérait, le sommeil lui manquait.
- Je voudrais une plante verte qui est facile à entretenir et ne prend pas de place.
- Investissez dans une petite amie d'un mètre cinquante.
Vexé de n'avoir entendu aucune formule de politesse dans cette voix sûre d'elle, Lysandre avait répondu sous une impulsion. Il retint un rictus quand il vit son interlocuteur. Le destin devait s'ennuyer.
- Excusez mon éclat. Une plante, donc ?
- J'espérais tomber sur vous en venant ici.
Et pourquoi cela ? Le jeune homme le fixait, ses yeux pétillaient. Il souriait, aussi, et Lysandre ne put s'empêcher de se dire que c'était un beau sourire.
- Comment puis-je vous aider ? Vous m'avez pourtant avoué ne pas aimer les fleurs.
- Une plante verte, c'est tout à fait différent ! Elle continue à pousser si on l'aide un peu, et elle peut durer toute une vie !
- A condition de savoir en prendre soin...
- Je compte sur vous pour me lire la notice d'utilisation.
Le sourire ne retombait pas, et pour quelques raisons obscures Lysandre avait envie de pleurer. Il ressemblait à un ange, son aura lui rappelait un printemps semblable à l'été et une promenade dans un parc. Il en perdait sa concentration.
- Peut-être serait-il judicieux de partir sur une plante grasse pour commenc...
- J'aime beaucoup celui-là. Il est tout tordu.
- Ha, le caoutchouc. Personne ne veut de lui, il est trop grand pour son âge. Donc pour les succulen...
- Je voudrais le vilain petit caoutchouc.
Allait-il donc cesser de le couper dans ses phrases ? C'était très insolent. En avisant le pot énorme du caoutchouc, Lysandre répliqua ironiquement.
- Cette adorable et minuscule plante de bureau ? Exactement ce pour quoi vous veniez !
- Je venais aussi pour vous revoir. Et il n'y a que les abrutis qui ne changent pas d'avis !
Les joues coquelicot, Lysandre soupira pour masquer sa gêne. Son client s'approchait déjà du petit arbre, prêt à le serrer dans ses bras... Il pesta en le reposant bruyamment sur le sol carrelé.
- Ehm... Je vais payer d'abord.
Il le dépassa vivement pour atteindre le comptoir. Il avait décidément quelque chose de très candide qui amusait beaucoup le fleuriste.
- Merci pour vos conseils.
- Je ne vous ai encore rien dit...
- Ne me dites rien ! Ça me donnera une excuse pour venir vous le demander !
- Je vais absolument tout vous expliquer tout de suite, alors.
L'air d'abord outré puis la petite moue abattue du garçon fit éclater de rire le vendeur... Qui se tut presque instantanément. Lysandre ne riait pour ainsi dire jamais. Peu de choses l'amusaient, sans compter qu'il restait au fond un grand timide. Son rire aurait pu être comparé à celui d'un ours en peluche si les ours en peluche pouvaient rire. Sa voix grave semblait s'étouffer dans du coton. Il n'aimait pas entendre son rire, comme la majorité des gens n'aiment pas entendre le leur.
- Si vous me l'expliquez en riant je suis prêt à vous écouter pendant des heures.
- Vous pouvez insérer votre carte.
La nuit lui faisait coucou derrière la fenêtre, il était grand temps de fermer pour le weekend. Une longue nuit et une grasse matinée attendaient Lysandre qui ne profitait jamais correctement de son dimanche. Il encaissa son client mystérieux et le regarda passer en tirant le pot en plastique derrière lui. Quelle scène divertissante. Il se dépêcha à ranger l'établi et recompter la caisse, attrapa son écharpe pelucheuse et activa l'alarme. Prêt pour sa séance de marche sportive jusqu'à chez lui, il tira ses écouteurs hors de sa poche... Mais ne les mit pas à ses oreilles. Une charmante silhouette se tenait courbée sur le bord du trottoir, aux côtés d'une bicyclette rouge et d'un immense pot de fleurs. La silhouette releva un visage espiègle qui se voulait innocent :
- Je suis venu à vélo...
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Sous la pluie
Romance(Autrefois une fanfic , qui est devenue mon précieux petit roman!) « Je crois bien que de toutes les fleurs toxiques, tu es la plus dangereuse... » TW: vocabulaire macabre / adultère/ self-harm/ mention de suicide... Lysandre aime les fleurs. Il n'a...