À travers l'entrebâillement de la fenêtre de ma chambre, j'observe le soleil qui lentement se retire derrière la forme imposante du mont Inaya. Cette montagne, véritable rempart naturel, dresse une frontière entre notre coin isolé et les terres gouvernées d'une main ferme par le baron Sevigny, un homme reputé pour son dévouement envers le roi. J'espère apercevoir la silhouette familière de mon père se dessiner avec les derniers rayons du soleil qui se glisse à travers les épais feuillage de la forêt.
L'air se rafraichit doucement, tandis que le murmure des sapins environnants s'intensifie avec la brise qui se lève. Je prends une profonde inspiration, avant de me résigner à fermer la fenêtre. Mon cœur se serre à l'idée que mon père passera une nouvelle nuit loin de nous. Son absence s'éternise, une semaine s'est écoulée depuis qu'il aurait dû rentrer à la maison. Il œuvre pour la couronne en tant qu'apothicaire, concoctant des breuvages pour l'épouse du roi, fervente adepte des remèdes naturels pour calmer ses crises d'angoisses.
Le paradoxe me trouble quand je pense que même les nobles, intouchable par la mort, restent tourmentés. Ils naissent, mais ne meurent jamais. Certains parmi eux comptent plus de huit cents ans et ont été témoins de la défaite de l'épidémie qui a failli anéantir notre royaume.
Nous vivons à l'écart de l'agitation du pouvoir, dans une campagne éloignée de la capitale. Mon père chevauche plusieurs jours pour se rendre auprès de la reine. Ma mère trouve injuste que seuls les nobles et l'armée royale aient le privilège de posséder une voiture. Elle voie dans cette restriction un moyen de maintenir le peuple sous contrôle.
Je descends l'étroit escalier qui mène au salon. Une délicieuse odeur d'épices s'échappe de la cuisine. J'y trouve ma mère qui prépare le diner. Elle bat les œufs fraichement récoltés dans le poulailler ce matin et les agrémente d'herbes cueillies dans la forêt. Chacun de ses gestes sublime les simples ingrédients à sa disposition. Ses longs cheveux brins, bouclés, tombent en cascade jusqu'à son bassin alors qu'elle tranche délicatement le persil. Rosina, ma petite sœur, se tient à ses côtés pour l'assister. En la voyant, je ne peux m'empêcher de voir le reflet de mon père, tandis que je me reconnais dans les traits de notre mère. Je m'approche de la cuisine. À l'écho de mes pas sur le vieux plancher, Rosina lève ses petits yeux marron vers moi. Un sourire éclaire son visage parsemé de tache de rousseur.
- Kalista, tu viens nous aider ? me lance-t-elle.
Avec un hochement de tête, je lui rends son sourire et m'approche du plan de travail. Je saisis couteau laissé par ma mère, rassemble les tiges de persil et commence à les hacher méthodiquement. Je soulève le couteau dans un mouvement régulier, concentrée pour éviter une nouvelle maladresse. Lors de mon dernier essai culinaire, une distraction m'avait valu une entaille au doigt.
- Kalista tu es encore perdu dans tes pensées, me réprimande ma mère.
- Les herbes ne vont pas se couper seule, ajoute ma sœur en riant.
Son rire résonne dans la pièce. Le bruit de la sonnette de la porte d'entrée retentit. Rosina cesse de rire. Son expression passe de l'amusement à l'inquiétude. Nous nous tournons toutes deux vers notre mère, cherchant à lire dans ses yeux une réponse rassurante à notre question silencieuse. Qui pourrait se présenter devant notre porte si tardivement, dans cette campagne reculée? Les voisins les plus proches se trouvent à plusieurs heures de marche. Ou serait-ce notre père, rentrant juste à temps pour le repas ?
Nous nous dirigeons fébrilement vers la porte, maman pose sa main sur la poignée et l'ouvre avec appréhension. Son visage se décompose instantanément. Un frisson parcourt mon corps. Ma gorge devient sèche. Ce n'est pas papa. Trois silhouettes émergent de l'obscurité. Le plus imposant d'entre eux arbore un long manteau orné d'un blason en forme de rose. Il s'agit du Baron Sevigny, un immortel, dont l'emblème familial brille fièrement sur sa poitrine. Les deux autres hommes revêtent un uniforme bleu que je connais bien, celui de la garde royale.
- Nous vous arrêtons pour trahison, votre mari a été dénoncé, déclare le Baron d'un ton autoritaire.
Je suis abasourdi par ces accusations portées à l'encontre de mon père. Il n'aurait jamais osé trahir la couronne.
- Vous vous trompez, s'élève la voix tremblante de maman, tentant désespérément de défendre notre famille.
- Votre mari prépare des bombes dans le grenier de votre maison et les fournit aux rebelles, réplique le baron avec froideur.
Le regard de maman se transforme, trahissant la vérité qu'elle nous avait cachée. Pourquoi nous avoir dissimulé cela ? Dans un élan de désespoir, elle se jette sur l'un des gardes, déchainant sa fureur. Les coups pleuvent. Elle le griffe et le mord. Jamais je n'ai vu maman aussi déterminée, aussi furieuse. Un coup de feu retentit, déchirant le silence de la nuit.
- Maman !
Son corps s'effondre sous mes yeux impuissants, laissant une traînée écarlate au sol. Un des gardes enjambe son corps ensanglanté, une lueur sinistre dans le regard. Je comprends que si nous voulons survivre, nous devons fuir. J'empoigne le bras de Rosina. Je nous entraine vers la porte arrière qui mène au jardin. Mes pensées sont embrouillées. Je ne réfléchis plus, seul résonnes les battements frénétiques de mon cœur.
Les soldats tirent dans notre direction. L'un des trois soldats se retrouve à court de munition. Il jette son arme au sol pour nous poursuivre.
D'autres tirs retentissent. Rosina s'effondre. Du sang coule de sa jambe.
- Rosina je t'en supplie, relève toi, hurlé je de désespoir.
Je la soutiens de toutes mes forces. Mais nous faisons quelques mètres avant que mes jambes cèdent sous mon propre poids. Je suis à bout de force, incapable de la porter plus loin. Je me retourne. Les gardes se rapprochent, menaçant.
- Ne les tuez pas. On a besoin d'elles, ordonne le baron.
L'un des hommes en bleu se précipite vers ma petite sœur et la menotte. Il sort un petit appareil avec un écran et lui saisit fermement la main. Sans hésitation, il lui inflige une piqûre au doigt avec une aiguille fine reliée à l'appareil. L'écran s'illumine en vert.
- Négatif Mon seigneur, elle ne présente aucune mutation, annonce t'il d'un ton neutre.
Pourquoi ce test ? Il est évident que nous ne sommes pas porteuses de cette mutation rare censée conférer un don unique, que ce soit sur le plan physique ou mental. Si nous en étions dotées, ce don se serait manifesté depuis longtemps. Rosina et moi, avons exploré divers domaines comme la capacité à respirer sous l'eau ou la télépathie, mais nous ne brillons nulle part. Ils doivent bien le savoir, s'ils étaient correctement renseignés.
Le deuxième garde avance un sourire en coin. Je tente de me relever, mais mes jambes tremblent. Une petite voix crie dans ma tête : "Kalista, cours si tu veux vivre !" Mais rien, je reste immobile. Je regarde ma sœur se faire ligoter sans pouvoir rien faire, sans prononcer le moindre mot, sans même pouvoir la défendre. Je suis tétanisée par la peur. Une peur qui me paralyse. Je ne parviens pas à bouger le moindre muscle.
Le garde se tient désormais devant moi, son arme brandie au-dessus de ma tête. Un coup brutal s'abat sur moi, me faisant chanceler. Tout devient flou. Les images autour de moi se troublent, les voix s'évanouissent. Puis, plus rien.
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Éternelle mutation
Ciencia FicciónDans une société divisée par l'injustice, où les nobles vivent éternellement tandis que le peuple souffre sous des restrictions gouvernementales oppressives, émerge une minorité dotée d'aptitudes exceptionnelles, fruit d'une mutation génétique. Kali...