Mes yeux s'ouvrent lentement sur la cuisine éclairée par les premiers rayons du soleil. L'énorme classeur m'a servi d'oreiller, et je me précipite pour le replacer sur l'étagère alors que résonnent les pas de ma mère depuis l'escalier. Je m'affale sur une chaise, de l'air de celui qui n'a rien à se reprocher. Maman se dirige vers le garde-manger, sans un mot. En 14 ans, elle ne m'a jamais adressé la parole un jour de Moisson.
On toque à la porte. Les voisins entrent, tout sourire. Chaque année, c'est la même chose. Ils tiennent à « fêter » ce jour particulier avec nous et ne nous laissent pas l'opportunité de refuser. Ils débarquent alors, les bras pleins de fruits qu'ils racontent avoir volé héroïquement au maire, bien sûr.
Ma mère ne prend pas la peine de les saluer. Elle pioche trois baies et monte se préparer, me laissant seul, face à des gens qui ne demandent qu'à voir des adolescents s'entretuer. Heureusement, c'est le moment que Shams a choisi pour se traîner jusqu'à la cuisine. Il porte le costume que je portais pour ma première Moisson, ses chevilles et ses avant-bras sont quasiment dénudés.
Les exclamations des voisins fusent, c'est un concert de « quel bel enfant ! », « quel bel homme il devient ! », « quel carrure ! quel courage ! ». Shams incline la tête pour remercier, ne sachant que dire ou que faire. Peu importe, les voisins n'ont pas besoin de nous pour faire la conversation.
- Vous pariez sur qui cette année ? dit le père.
- Le tribu du district 1 a gagné l'année dernière, je parie sur le district 2 cette fois, répond la mère.
- Notre district a progressé dans la formation, je ne tire pas une croix sur une victoire d'un de nos tributs, renchérit la fille.Bla, bla, bla. Leurs mots ne sont plus que des bourdonnements à mes oreilles. Je vois Shams qui relève la tête, un sourire narquois au coin des lèvres. Il dit, d'une voix que je ne lui avais jamais entendue aussi puissante :
-Il n'y aura pas de gagnant cette année.
C'est bon, il aura suffi de quelques mots pour capter l'attention des voisins.-J'ai lu ça dans un des journaux qui tournent sur la place du marché, du genre de ceux qu'on se passe sous les manteaux, continue-t-il. Le Capitole en a assez des Jeux, les districts ne seront plus avant que ceux-ci se terminent.
Soudain, c'est l'ébullition. Le père, la mère et la fille ont vite fait de prendre la porte, sûrement pour répandre l'information.
Aussitôt que la porte claque, je m'enquiers de la véracité de cette nouvelle.
-Bien sur que c'est faux, soupire Shams en tournant les talons.Je me retrouve seul dans la cuisine, et je sais parfaitement ce que j'ai à faire Je claque la porte derrière moi, et me dirige vers le parterre de fleurs du pavillon d'en face. J'arrache quelques tulipes et les fourre sous ma veste, de peur qu'un passant me voit. Je marche jusqu'au marché, désert en ce jour.
Seul demeure ouvert l'étalage du marchand de pâtisseries, qui, ne me voyant sortir que quelques petits écus de ma poche trouée, me céda 5 petites chouquettes, avec le doigt sur la bouche.
Je cours chez Annie.Sa maison est loin de ressembler à la mienne, les briques sont bien trop blanches pour ne pas avoir été astiquées par un agent d'entretien sous payé. Je ne me dirige pas vers la porte principale, je contourne le potager et me retrouve face à la petite bâtisse annexe, où je sais qu'habite la gouvernante.
Je toque aux volets, pose les fleurs et le sac, où le marchand a accepté d'inscrire « Pour Annie » et prend mes jambes à mon cou.
Quelques heures plus tard, nous arrivons sur la place, face à la grande bâtisse du maire. Maman sert les épaules de Shams affectueusement et m'adresse un hochement de tête, puis reprend les poignets de mes soeurs pour les diriger vers la zone du public, derrière celle des potentiels tributs. Je pousse Shams de l'épaule pour qu'on ne finisse pas pietiné.
Il avance, la tête basse, avec sa carrure éternellement voûtée et ses pieds qui traînent à soulever la poussière sur les pavés gris. Nous passons au prélèvement sanguin, je vois mon frère serrer les dents lorque l'aiguille transperce le bout de son index. Le pacificateur lui indique l'espace des 12 ans, un tas d'enfants qui tremblent de peur.
On m'attrape le doigt. L'aiguille transperce ma peau, et la goutte de sang tombe dans la minuscule fiole, rebouchée dans la seconde qui suit. Je me dirige vers les adolescents de mon âge. Un garçon de ma classe me fait un signe de la main, mais c'est tout. Je cherche Annie du regard, mais je ne vois rien. Plus personne ne semble se connaître aujourd'hui.
Un tout petit homme se hisse sur l'estrade, aidé par deux Pacificateurs. C'est Travis Lore. Tout le monde l'a déjà vu, personne n'a jamais laissé échapper un rire moqueur. Un peu rondouillard, le crâne dégarni, des lunettes à la monture violette, mais surtout ridiculement petit.
Il est chargé d'accompagner les tributs, d'organiser leurs tournées, de contrôler leur influence auprès du public, mais surtout de tirer leurs noms au sort. Il s'approche du trépied qui lui est réservé, puis escalade l'escabeau qui lui permet d'atteindre les micros :
-Bonjour.
Ce simple mot résonne dans toute la place, résonne à nos oreilles. Seul le souffle du vent ne peut se faire entendre maintenant.-Bienvenue aux tirages de la 65e édition des Hunger Games ! s'exclame-t-il, les bras ouverts, comme s'il s'attendait à des exclamations de joie.
Personne ne bouge.-Bien, reprend Travis, résolu. A ma droite, la boule qui désignera le tribut de sexe féminin qui aura la chance de représenter le district 4 à ces Jeux. A ma gauche, le tribut de sexe masculin. Honneur aux dames. S'il vous plaît ?
Il fait un geste aux Pacificateurs, qui doivent se mettre à deux pour amener jusqu'à sa main impatiente l'énorme boule en verre. Il agite les papiers un long moment, avant de resserrer les doigts sur un des leurs, qu'il sort de la boule, l'air triomphant. Nous retenons notre souffle.
Même si son nom n'est inscrit que 3 fois, je crains le pire pour Annie. Je la vois, monter sur l'estrade, prendre le train, traverser tous les districts, puis à la télévision, dans l'arène, face à des carrières qui ne veulent la voir que morte. Cette vision me torture.
Mon regard est brouillé, je ne respire plus, mon cœur cesse de battre l'espace d'un instant. Travis Lore inspire :
-Et la chanceuse de cette année est.... Lily Cresta !
Ouf. Mon cœur recommence à battre, mais ce répit est de courte durée. J'ai reconnu le nom de famille. Une jeune fille se dégage de la foule des 17 ans. La sœur d'Annie.Je n'ai plus qu'une phrase qui tourne en boucle dans ma tête : « Elle se portera volontaire. Elle se portera volontaire. Elle se portera volontaire. ».
Je ne vois plus rien.
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Finnick Odair
FanfictionNous avons été beaucoup à admirer Finnick Odair dans le tome 2 de Hunger Games. Mais ne vous êtes vous jamais posés des questions quant à ses premiers jeux ?