Chapitre 4

17 3 4
                                    

Nous marchons plus de 20 minutes dans le froid, en silence. Alors que nous arrivons devant les barbelés qui clôturent le district, je saisis le poignet de Shams et bifurque brusquement vers la gauche. Il me tire en arrière, tente de résister. Je le comprends, devant nous, seulement un mur froid en pierre sur lequel personne n'a envie de s'écraser à cause de son grand dadais de frère au crâne inconditionnellement vide.

Je ne trouve pas tout de suite la poignée en fer, je cherche désespérément le contact froid du métal sous la paume de ma main, tandis que Shams m'observe me démener dans le noir.

J'appuie enfin sur la poignée, la porte s'entrouvre. Je sais qu'elle ne s'ouvrira pas plus. Je joue des coudes pour me glisser dans l'interstice, Shams n'a même pas à le faire. Nous sommes dans une grande salle a première vue parfaitement vide, 4 murs mais pas de plafond, on peut voir les nuages qui peu à peu masquent les étoiles.

Shams n'est pas rassuré. Malgré ma veste, il grelotte et je sens ses doigts se resserrer de plus en plus autour de mon poignet. Une voix retentit du fond de la salle :
- C'est pour quoi ?

Je m'avance en direction de la voix, Shams n'a d'autre solution que de me suivre en traînant des pieds. Un rayon de lune éclaire soudain le visage de Mémé Batty. Shams sursaute. Alors que ses yeux s'habituent peu à peu à la pénombre, il découvre le corps d'une vieille femme, recroquevillée sur elle même, et entourée de morceaux de pains, de têtes de poissons, de broches qui scintillent. Toutes les offrandes qu'on fait auprès d'elle en lui demandant de bénir son enfant pour ses premiers Jeux.

Shams s'asseoit contre son gré face à elle, obéissant à son signe du doigt insistant. Je m'écarte, et m'appuie contre le mur froid. Silence. Plus rien ne bouge. Nous n'entendons même plus les pas des Pacificateurs, qui contrôlent la frontière du district.

Mémé Batty fouille ses poches, en sort une dague sertie de rubis qui réfléchissent les rayons de lune, Elle attrape le bout du doigt de Shams, dont le teint est livide, et les yeux écarquillés. Je tourne la tête, mon frère sert les dents. Lorsque je ramène les yeux sur la scène, une goutte écarlate perle au bout de la dague. La vieille femme me dévisage avec insistance, puis tend la main pour recevoir le coquillage que je lui remets.

Elle y dépose le sang, et murmure des incantations que je ne comprendrai sans doute jamais, les mêmes que j'ai entendues il y a deux ans, avant ma première Moisson.

Au bout d'un temps qui nous paraît infiniment long, Mémé Batty ordonne à Shams de se lever, et, sur un signe de tête entendu, nous chasse de sa sombre tanière. De retour devant le grand mur, Shams semble avoir oublié ce qu'il vient de vivre. Il a le regard vide, comme pétrifié sur place par ses jambes qui ne veulent plus avancer. Seule règne la plaie sur son index gauche, là-même où les agents du Capitole lui enfonceront l'aiguille demain.

Je le guide jusqu'à la maison sans dire un mot. Tout le monde semble s'être endormi, je n'aperçois que la flamme tremblante d'une bougie que fait brûler ma mère pour lire un ouvrage sûrement censuré par le Capitole.

Alors même que je referme la porte d'entrée derrière nous, mon frère court à sa chambre, toujours muré dans son silence. Il a sûrement raison, demain est un grand jour pour lui. Enfin, de ce que dit le Capitole.

Même si j'ai affirmé le contraire tout à l'heure, je meurs de faim. Je trouve quelques sardines de la pêche d'hier sûrement réservées au chat dans le garde-manger, mais qu'importe, je ne suis pas à ça près. Je racle la minuscule noisette de beurre au fond du pot, et je presse quelques gouttes de citron. C'est un festin digne des plus grandes tables royales, lorsque l'on voit tous les rationnements mis en place par le Capitole.

Après avoir déposé mon assiette sur la table, je me dirige vers l'étagère qui sert de bibliothèque d'exposition, tous les autres livres dits « interdits » sont cachés sous le matelas de maman. Je dédaigne les gros bouquins de propagande et me saisit du classeur jauni, qui porte sur sa tranche deux lettres majuscules : HG, Hunger Games. Ma mère, depuis une éternité maintenant, est missionnée par le maire du district de recenser chacun des Jeux dans les moindres détails, de la pointure exacte des tributs à leur morts respectives.

On ne lui donne que trois pièces pour la remercier, mais elle tient beaucoup à son travail et s'acharne à en produire deux exemplaires, un pour le maire, et un pour nous, « si l'un de vous a le malheur de participer, qu'il se rende compte de l'horreur que c'est ».

Je croque férocement dans les sardines, alors que je feuillette une à une les feuilles plastifiées. Mes yeux s'arrêtent sur un visage. C'est un petit garçon blond, le tribut du district 4, il y a deux ans. Ses joues sont bouffies, on pourrait presque dire qu'il a le même nez que moi. Je survole sa fiche d'identité. Prénom : Marley. Nom : Rien. Les lettres semblent avoir été effacées rageusement. Seule la dernière résiste encore, c'est un r. Un 1 rouge sang couvre toute la page. Il est mort le premier.

Finnick Odair Où les histoires vivent. Découvrez maintenant