Le portail

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- Monsieur Mulendi ?
Cette voix frêle et familière qui resonnait à son oreille était celle de Betty, la femme de chambre. Elle avait l'habitude d'être très matinale ; bien plus efficace et rapide. Betty était une femme de caractère, ronde et de taille moyenne. Peau d'ébène, des cheveux crépus coiffés en un chignon bien tiré, un visage épuré, orné d'une monture ronde dont elle ne s'en séparait presque jamais. Elle dût stopper son cursus de master, afin de se trouver un job lui permettant de payer les études de sa petite sœur après que ses parents se soient tragiquement donnés la mort dans un accident de voiture.
- Bonjour Betty ! Lance-t-il en se retournant brusquement sur un ton faussement ravi
- Vous êtes assez matinal ! Tout va bien ? Et Marilyne ?
- Tout va bien, ne vous en faites pas ! Vous aussi êtes matinale soit dit en passant !
- Oui mais pas pour les mêmes raisons voyez-vous ! Les aléas du travail ! Cela me permet de bosser tranquille ; car une fois que tout le monde est éveillé, c'est des aller et venus dans tous les coins. C'est éreintant !
Elle n'arrêtait plus d'expliquer à Théo tous les rouages de son boulot et l'ensemble des difficultés y afférentes.
- Betty ! Betty ! La stoppe-t-il ! Je prends un énorme plaisir à cette discussion, mais il va falloir que j'y retourne ! J'ai une grosse commission à faire pour Marilyne et du coup, je suis à la bourre.
- Oh je vois ! Alors ne tardez plus monsieur Mulendi ! Le temps ne nous attend guère ! J'espère que Marilyne n'a pas perdu de vue qu'elle m'a demandé de passer ce matin pour l'aider à réaménager son dressing ! Je n'aimerais pas m'imposer si vous voyez ce que je veux dire lance-t-elle d'un ton taquin.
- Oh non impossible ! Lui dit-il paniqué
- Ah oui ?
- Oui ! Cela m'est complètement sorti de la tête ! Elle m'a chargé de vous dire qu'elle vous joindra afin de reprogrammer. Elle doit prendre sa matinée, nous travaillons ensemble sur une possible nouvelle exposition.
- C'est étrange ! Elle me laisse souvent des messages dit-elle en jetant un œil à son téléphone pensant apercevoir une note de Marilyne.
- Depuis l'exposition d'hier ça n'a pas arrêté ! Du coup elle m'a demandé de sortir voir si vous aviez déjà pris votre poste balbutie-t-il voyant le doute monter en son interlocutrice.
- Je comprends mieux ! Je passerai pour le simple ménage alors dès que je termine avec les couloirs.
- On va s'en charger pour aujourd'hui Betty ne t'inquiète pas ! Allez ! Je dois y retourner se rue-t-il se souvenant de l'état macabre dans lequel il avait laissé le bureau de Marilyne.
Il était clair qu'il ne pourrait quitter cet appartement qu'une fois l'ordre rétabli. Après avoir récurer de fond en comble la pièce, le sang de son amante recouvrant sol et meubles, continuait de hanter Théo. Il décida alors de prendre une douche ; de toute évidence il n'irait nulle part sans le corps sans vie de Marilyne. Une douche froide était la solution la plus indiquée à ce moment, lui permettant de remettre ses idées en place. La paroi de douche vitrée de Marilyne laissait entrevoir la silhouette bien bâtie de Théo. Il restait figé, les paumes des mains contre la vitre, l'eau qui coulait à flot et la tête légèrement baissée. L'esprit hanté par une myriade de moments partagés avec Marilyne, de leur rencontre jusqu'à ce jour ! Il ne s'était douté de rien. Comment aurait-il pu imaginer un tel subterfuge ? Lui qui était si avenant avec elle ! Envahi soudainement d'un déferlement d'émotions toutes rédhibitoires, il se décida enfin à regagner la chambre. Il n'y avait plus de temps à perdre, chaque minute passée lui était précieuse désormais.
Après amples recherches chevronnées sur le net, il finit par tomber sur un article qui parlait de résurrection. Il avait l'air farfelue au départ, mais la première étape expliquant comment conserver le corps de la défunte, lui semblait être une ébauche de plan. Alors il fit une liste d'achats à payer vite fait à la supérette, liste digne d'un tueur en série soit dit en passant. Selon la vidéo, il n'avait plus que quelques heures devant lui ; Théo se hâta de se vêtir et de sortir effectuer sa course, veillant à n'éveiller aucun soupçon autour de lui.
Il plongea le corps de son amante dans la baignoire de la salle de bain préalablement remplie de glaçons. L'objectif était de maintenir le corps à la température la plus basse possible, retardant ainsi la putréfaction qui ne tarderai pas à suivre. La vidéo enseignait comment poursuivre la conservation à partir d'un petit mélange de produits chimiques. Théo jeta un coup d'œil à sa montre ; Il ne lui restait que quelques heures devant lui pour tout régler.
Claire Bennet, ce nom évoqué à mainte reprise dans les notes de Maryline lui revint comme un déclic. Après maintes recherches sur elle, il mit la main sur une vidéo qui relatait son expérience spirituelle avec la mort. Comment cela pourrait-il l'aider à faire revenir Marilyne ? Se demande-t-il intérieurement.
Théo devait invoquer le même démon des croisés qui s'était servi de Marilyne, le leurrer enfin de l'astreindre à revenir sur son pacte. Car la persistance de ce pacte de sang empêchera quel qu'en soit l'initiative, l'âme de son amie de quitter les enfers. Il dénicha une adresse qui le ramenait dans les quartiers sud d'Elisabeth ville, Où vivait un proche parent de Claire. Il s'y rendit dans l'espoir profond d'y trouver des réponses.
Ce quartier était réputé pour un taux assez élevé de criminalité de tout type : drogues, agressions et vols. Il fallut s'y rendre en taxi, évitant d'attirer l'attention sur lui. Une heure après, il était fin prêt à affronter l'effroyable réalité. Théo respira un bon coup, revérifia l'adresse à nouveau et toqua. Personne ne répondit. Il jeta un coup d'œil sur le papier qu'il tenait fermement au creux de sa main, question de se rassurer d'être au bon endroit avant de frapper une fois de plus. Au bout de quelques secondes, il vit apparaitre une silhouette au travers de la vitrine de la porte. Elle ôta le verrou et lui ouvrit. C'était une jeune dame claire, aux traits fins, visage pale, des yeux bruns, de corpulence et de taille moyennes. Elle le dévisagea le temps d'un instant ; peut-être essayait-elle de le reconnaitre sans succès. Théo finit par prendre la parole.
- Bon après-midi madame ! Désolé pour le dérangement, mais je souhaiterais rencontrer les Bennet.
- Qu'est-ce qui vous amène ?
- Je suis tombé sur une vidéo sur le net et...
- Je vous arrête toute suite ! J'en ai assez de ce genre de conneries ! Allez-vous-en ou j'appelle la police !
- Non ! Il n'en est rien ! Je vous en prie, je suis désespéré ! J'ai besoin de votre aide. Accordez-moi quelques minutes et puis après vous serez libre de me jeter en pâture aux chiens !
- N'exagérons rien ! Vous avez deux minutes ! Je vous écoute.
Théo lui conta point par point toutes les bribes de l'histoire de son amie qu'il maitrisait le plus rapidement possible.
- Actuellement où est-elle ?
- Dans son appartement ! J'ai réussi à dissimuler le corps et à le conserver à une température adéquate jusque-là ! Mais comme vous pouvez vous en douter, le temps me tient à la gorge.
- J'appelle la police ! Dit-elle en essayant de refermer brusquement la porte entre-ouverte d'un coup sec. Sans y parvenir. Théo avait anticipé sa réaction vu la susceptibilité du sujet et des mots employés. Il empoigna la porte d'entrée de sa main droite.
- Ne faites pas cela ! Regardez ! J'ai une preuve de ce que j'avance ! Vous reconnaitrez sans doute ce pendentif dit-il en précipitant sa main dans la poche de sa veste, afin de présenter le mouchoir dans lequel il avait conservé les éclats du talisman de Marilyne. Son interlocutrice se prostra soudainement à la vue du contenu que détenait la pochette de Théo ; le regard figé sur le talisman.
- Où avez-vous eu ce talisman ? Arrive-t-elle enfin à bredouiller
- Comme je vous l'ai expliqué, de mon amie. Elle a besoin de moi s'il vous plait !
Elle s'écarta de la porte, l'incitant à se joindre à elle.
- Entrez et prenez place un instant !
- Merci ! Soupire-t-il bien reconnaissant.
Elle tira les rideaux, s'empressa d'éclairer la pièce grâce à des lustres ornant le plafond et l'entraina à prendre place sur les sièges de sa salle à manger.
- Expliquez-moi ! Comment est-elle entrée en possession de ce talisman ?
- Dans la vidéo, elle explique qu'elle est entrée en contact avec une dame répondant au nom de Claire Bennett, celle-ci lui remis le pendentif après lui avoir expliquer comment s'en servir pour échapper à son funeste destin. Le temps pour Marilyne de trouver une véritable solution à son problème.
- Claire Bennett c'est ma mère ! Malheureusement elle a disparu suite à une tragédie qu'a connu notre famille révèle-t-elle sous un ton rempli de culpabilité.
- J'en suis navré ! Je pensais avoir amples explications sur une façon d'arranger les choses ou peut être un autre talisman. Mais là c'est fichu dit -il en passant ses mains sur son visage fatigué, laissant échapper un soupir de désespoir.
- Ne vous découragez pas ! Ce que je peux vous dire c'est que si ma mère a remis ce pendentif à votre amie, c'est qu'il lui revenait de droit !
- Comment ça ? Dit-il en relevant la tête sans engouement vers son interlocutrice
- Ce talisman fonctionne grâce au lien de sang, il appartenait déjà sans aucun doute à sa famille. Cela signifie que votre amie vient d'une famille ayant reçu le pouvoir de pratiquer de la magie.
- Etonnant ! Plus je m'efforce à résoudre ce casse-tête et moins j'ai l'impression de la connaitre réellement.
- Je peux comprendre ! Moi également j'ai pris conscience un peu tard du pouvoir que j'avais sur les autres et j'en ai payé le prix. Cherchez la porte qui mène aux enfers, cela doit être votre prochain objectif ! Je peux vous aider à invoquer le démon en question mais pour l'appâter, il vous faut un atout dans votre manche, sinon il ne se pointera pas.
- Je ne sais par où commencer à vrai dire !
- S'il s'avère que votre amie à réellement les pouvoirs que je soupçonne, elle a pu imager cette porte ! Vous m'avez dit qu'elle était peintre c'est ça ?
- Euh oui c'est bien ça ! Mais à quoi ressemble la porte des enfers ?
- Je ne saurais vous dire ! Votre amie possède la capacité de visualiser et matérialiser des choses abstraites ou des bribes d'images qu'elle a peut-être pu apercevoir en créant la brèche qui lui a permis de faire appel à ce démon.
- Sa première peinture ! Elle fut un succès fulgurant ! Marilyne l'a réalisée juste après avoir passé ce maudit pacte et il s'agit bel et bien d'une porte déclare-t-il en se plongeant profondément dans ses pensées.
La descendance de Marilyne était bien plus investie dans la magie qu'elle-même en avait conscience. La clé a toujours été devant ses yeux. Comment avait-elle pu passer à côté, le tableau bien sûr ! La première œuvre d'art de Marilyne était une porte entrouverte faisant paraitre une jeune fille. Comment l'activer ? Où pouvait bien mener ce portail ? Car il s'agissait bien de la porte des enfers, celle dont Marilyne lui avait parlé avant de disparaitre.
- Où se trouve ce tableau ?
- Dans une galerie d'art, pas loin du centre-ville.
- Vous pouvez y avoir accès ?
- Je peux me débrouiller pour m'y rendre oui !
- Alors il n'y a pas de temps à perdre ! Si mes hypothèses sont vraies, vous aurez besoin de ses éclats du talisman. Vous les placerez dessus et le tableau prendra vie de lui-même. Mais attention ! il vous faudra l'isoler par prudence avant toute action. Suivez-moi maintenant dit-elle en se relevant de la chaise sur laquelle elle était assise. Je vais vous apprendre le rituel qui vous permettra de faire appel à ce démon. Elle l'entraina vers une pièce dont les murs étaient recouverts d'inscriptions bibliques écrites dans une langue qui lui était étrangère.
- Un choix de décoration assez inhabituel !
- Vous vous doutez bien qu'avec tout le pouls d'énergie que la magie peut dégager ? Je dois être la cible d'êtres plus ou moins malveillants. J'ai mes propres combats à menés ; Cette pièce me permet d'être à l'abri.
Une fois son apprentissage terminé, Théo s'empressa de remercier son hôte et de prendre le chemin retour en direction de la galerie d'art. Assis sur la banquette arrière du taxi qui le ramenait, il se remémorait la succession d'évènements survenus depuis la disparition de son amante.
- Je te sauverai ! Murmure-t-il lentement, la tête reposant sur une des vitres du véhicule. Tout était encore si présent pour lui, la chaleur de sa peau, l'odeur de ses draps et encore plus le goût de son corps. Toute une volupté d'émotions qui l'envahit soudainement. Théo était convaincu à cet instant qu'il serait incapable de la laisser s'en aller loin de lui, il fallait qu'elle vive, qu'ensemble ils profitent de tout ce temps passé sans voir qu'ils étaient faits pour s'aimer.
- Monsieur ? Vous m'entendez ? Nous sommes arrivés à votre destination.
- Très bien ! Dit-il en se précipitant vers la sortie
- Ça fera cinq dollars !
- Tenez ! Merci
- Merci à vous.
MUST était une galerie assez prestigieuse dans le milieu de l'art, elle était réputée pour ses œuvres hors de prix et sa clientèle exigeante. Théo savait qu'il faudrait user de malice pour s'introduire dans l'immeuble, déjà connu de tous comme le collaborateur le plus proche de Marilyne, il n'eut aucun mal à pénétrer dans l'enceinte de l'établissement jusqu'à parvenir à celui-ci.
- Monsieur MULENDI ! Quelle joie de vous avoir parmi nous.
- Ma chère Caroline ! Comment allez-vous ?
- Merveilleusement bien et vous ?
- Toujours dans le feu de l'action ma chère ! Il n'y a malheureusement point de repos pour nous autres dans ce milieu.
- Comme je vous comprends ! On m'a prévenu de votre arrivée ! Que puis-je faire pour vous ?
- Hier après notre départ, nous avons reçus un appel anonyme, nous signalant qu'il y'aurait eu quelques soucis avec le tableau. Étant donné que nous avons entièrement confiance en la maison, nous n'avons pas jugés bon d'en faire un drame. Mais ce matin je me suis dit de passer voir où vous en étiez pour le transfert du tableau vers le musée d'Élisabeth ville.
- Je n'ai malheureusement pas eu cette information ! Merci de nous faire confiance ! ne vous inquiétez de rien, il nous reste quelques papiers à finaliser et le transfert s'effectuera dès ce soir. Suivez-moi s'il vous plait ! Je vais vous montrer où nous l'avons entreposé.
- Très bien ! Jusque-là tout se passait comme prévu pour lui.
- Une seconde ! Le temps de désactiver le système de sécurité. Voilà ! Voyez par vous-même ! Dit-elle en incitant Théo à entrer dans la salle où le tableau était conservé en attente de son transfert.
- Marilyne en sera ravie ! Vous me donnez quelques minutes ? Le temps pour moi d'inspecter et de lui faire mon compte rendu
- Bien évidemment Théo ! Vous faites partie de la maison ! Prenez votre temps dit-elle sur un ton charmeur.
Théo mis le verrou sur la porte et fit sortir de la poche de sa veste les éclats du talisman. Il lui fallait vérifier que ceux-ci donnaient réellement accès au portail dont Marilyne lui avait parlé. Plus il rapprochait la pochette du tableau, plus les éclats s'illuminaient. Était-ce vraiment ce portail qu'elle avait tant cherché ? Il n'y avait plus que ça qui comptait pour lui à ce moment précis. Théo disposa les fragments délicatement sur le tableau qui s'illuminait à son tour tout en se désagrégeant lentement. Petit à petit, il vit apparaitre un voile qui se rependait en longueur, du bas vers le haut du tableau jusqu'à ce qu'il en soit complètement recouvert. Théo s'en approcha lentement, il étendit la main vers le portail afin d'en avoir le cœur net sur sa véracité. Au contact du voile, une lumière aveuglante surgit du tableau, dont le rayon projeta Théo à quelques dizaines de mètres plus loin, contre la porte de la pièce. Cette impulsion déclencha l'alarme dans toute l'enceinte de l'immeuble. Il perdit immédiatement connaissance. Le portail désormais ouvert, Théo était étendu sur le sol de la pièce, demeurant inconscient. L'alarme de l'immeuble en fond sonore qui ne cessait de se répéter en boucle et le bâtiment automatiquement verrouillé sans issue de sortie. Il ne restait à Théo plus que quelques heures devant lui pour ramener sa bien-aimée.

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