Chapitre 2

6 0 0
                                    

L'ordre vient d'en haut !

L'écrasement prévu du repère des fous de dieux n'est plus d'actualité, en tout cas pas pour tout de suite. Il lui fallait donc dissiper la cohorte d'animosités qu'il avait recruter en lui pour concasser du djihadiste. Au chronomètre, il était entré dans cette pièce depuis environ deux minutes. Mais ses conversations intérieures duraient depuis bientôt vingt minutes.

Le colonel connaissait bien la bête et restait placide. Rasé de près et le béret impeccablement vissé sur la tête, il n'attendait rien de cet homme. Pas un mot en particulier, pas une réaction spécifique, pas un épanchement de sentiments ou d'opinions. Il avait transmis le message. L'opération n'est pas pour cette nuit. Tout est dit.

L'ordre vient d'en haut !

Cette nuit ne connaitra pas le déchainement de foudre auquel s'est préparé notre homme. Toujours au garde à vous, le visage grave et parfaitement illisible, il finit par saluer d'un geste mécanique et sort. Il était déjà dehors mais son aura était toujours présente dans la pièce, lourde comme du plomb.

Le peloton

Ses hommes étaient regroupés sous un arbre rongé par les termites. Il s'avance vers eux en retirant son casque et on aperçoit alors une fine cicatrice sur sa joue droite. Un adjudant lui tend une cigarette qu'il coince entre ses dents jaunies par le café. Il la lui allume et prend des nouvelles dans son regard.

L'adjudant le suivait depuis quelques années. Ils ont connu bien des théâtres de guerre. Ensemble ils ont trucidé de l'humain et survécu à des situations sans issues. Ils avaient donc un lien profond et un langage du regard quasi télépathique. Ils sont frères d'armes et de sang versé. Le reste de la troupe était allongé à même le sol. Ils ont développé une capacité à s'endormir en deux minutes pour rattraper des heures de veille et de tension nerveuse extrême.

« Ce n'est pas pour ce soir » lança-t-il en soufflant une longue trainée de fumée. « L'ordre vient d'en haut ! qu'ils disent. ». L'adjudant accueille la nouvelle sans aucune émotion. Quel que soit le jour qui sera retenu, ce sera toujours un beau jour pour tuer ou mourir. Il n'est plus à ça près.

Une sieste

Comme ses hommes, le commandant A1C7B23 s'allonge au sol, à l'ombre de l'arbre à karité. Seul l'adjudant reste debout le regard perdu derrière l'horizon. Il était un peu plus de 13 heures et il faisait une chaleur à cuire un œuf sur une pierre. Mais ce groupe de 13 était dans son élément, la dureté.

Il n'a pas fallu plus de deux minutes au commandant aussi pour s'endormir. Le bras gauche posé sur les yeux pour cacher la lumière du soleil, la main droite sur son glock 9mm harnaché à la cuisse. Il se paye même le luxe de rêver. Plus qu'un rêve, c'était plutôt un enchevêtrement de souvenirs d'action.

Un rêve animé

Il était sur une piste de terre rouge. Toujours en tête, son AK47 modifié entre les mains, il avançait à un rythme soutenu. Derrière, les deux colonnes suivaient machinalement comme un organisme en pleine santé. Tous ses sens en éveil, il lisait le vent et les sous-entendus du paysage. Un claquement soudain se fit entendre. Une balle venait de s'écraser sur son gilet. Il recule à peine et tout le peloton riposte dans un déluge de feu.

Il en fallait peu pour réhydrater son orgueil. Ceux d'en face se croyaient-ils plus mortels que lui ? Les deux colonnes se répartissent automatiquement des deux côtés de la piste et il part à droite. « Mouvement à 11 heures » gueule un homme. La pluie de balles se réorienta systématiquement et à 100 mètres environ, ceux d'en face servaient aussi de copieuses rations de plomb.

Les rafales se faisaient plus courtes et on entendait plutôt du coup par coup. Le groupe fonçait vers sa cible selon une chorégraphie mille et une fois répétée. Les uns fixent l'ennemi avec des doublettes précises et de courtes rafales de minimi, pendant que d'autres avancent deux par deux. De quelques mètres à chaque fois, parfois juste de deux pas, pour se poster derrière un arbre ou un talus.

Les hommes n'étaient plus qu'à 50 mètres de l'ennemi et ils pouvaient voir la RPK d'en face et les soldats postés autour qui manœuvraient en gueulant. Déjà trois hommes à terre et une grenade qui atterrit au milieu de leur équipe feu. C'est la débandade prévue.

Le rêve n'était pas linéaire, et des flashs survenaient, interrompant le cours des images et des scènes qui défilent. Il avait une tête dans la main.

- Reportez le tir à droite bordel, reportez le tir à droite !

- La radio ne passe pas.

- Est-ce que l'appui feu suit un peu la danse ?

- Négatif, ils sont sur un fuyard de l'autre côté.

- Ecoute ... on y va. Couvre moi.

Puis plus rien. Les interférences subliminales se sont interrompues subitement. Le commandant ronflait, toujours immobile, la main droite sur son arme de poing. L'adjudant était assis sur son sac à dos, il lisait Wolé Soyinka, un mégot de Dunhill à l'agonie entre le majeur et l'index droits. L'air était chaud, il transpirait raisonnablement, accoutumé au fait.

Deux mètres minimum

Jeune engagé volontaire, encore à l'école d'officiers, le futur commandant avait participé à ce qu'ils appellent dans leur jargon une mission radicale. Le genre d'opération dont on n'entend pas parler. Il a appris ce jour-là que pour enterrer un corps, et être à peu près sûr qu'il ne ressurgira plus, il faut creuser deux mètres minimum.

Il était dans le trou, manipulant la pelle avec ardeur. La terre était rebelle à cet endroit. Ses paumes, pourtant déjà caleuses, s'en souviennent. Chaque centimètre en profondeur se méritait. Le corps, celui d'une espionne infiltrée, gisait à deux pas de lui, la nuque brisée et des taches de sang sur son abdomen perforé. Son torse à lui émergeait du trou et il pensait que ce serait suffisant.

Quand il remonte pour tirer la dépouille par les jambes, son chef lui lance :

- Qu'est-ce que tu fous bordel ! Tu crois que c'est ok là ? On t'a rien appris dans ton école de merde ? Pour faire disparaitre un corps, c'est deux mètres minimum. Les cibles comme celles-là ça se découpe et se dissout en principe. Au minimum on brule. Mais quand y'a pas de matos, on creuse. Deux mètres minimum !

Le jeune homme qu'il était venait d'apprendre quelque chose. Il va falloir engager de la chair. Sans rechigner il redescend dans le trou et recommence à jouer de la pelle. Le sol était si dur que ses paumes étaient en sang et ses bras tétanisés. Mais bientôt, coup après coup, pelletée après pelletée, sa tête avait disparu et il était tout entier debout dans ce trou de terre rouge.

Aujourd'hui le voilà commandant et leader d'un commando en plein cœur d'un territoire connu sous le nom d'AES.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Apr 29 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

L'ordre vient d'en hautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant