Chapitre deux

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Toute la journée il grognait. Griffait. Tapait sa cage. En entrant, on pouvait toujours deviner une nouvelle trace sur le sol. Une nouvelle blessure sur son pelage. Mais ses efforts étaient vains. Toujours sa prison résistait. Toujours elle résisterais. Du moins jusqu'à ce j'arrive à lui faire dire quelques choses.

Tous les jours je venais. Tous les jours j'écoutais ses râles. Je sentais ses poiles humides. Je voyais ses yeux assassins. Chaque jour je devais supporter de m'assoir face à lui. De lui parler. De lui sourire. Je devais supporter ses insultes. Ses crachats. Ses silences. Je devais supporter ses démonstrations de force. Sa puissance évidente. Sa brutalité héréditaire. Et malgré les barreaux. Malgré la situation. Malgré ma supériorité. Je savais que je n'avais aucune chance face à lui. Donc j'avais peur.

Une peur tétanisante. Qui s'accroche à la peau. Qui compresse le ventre. Qui m'obligeait à me pousser à entrer dans la pièce.

Je faisais tout pour la dissimuler. Contrôlais mes rictus. Respirais calmement. Le regardais dans les yeux. Si cela marchait avec tout le monde. Avec mes collègues vampires. Qui ne veulent que tuer les autres espèces. Avec mes supérieurs mages. Qui ne s'occupent que de leur monde. Avec mes employés fées. Qui ne se s'intéressent qu'à leur apparence. Lui. Lui sentait ce que je voulais cacher. Ce que personne ne devait voir.

Cela me mettait hors de moi.

Que tous mes efforts soient réduis à néant par une simple respiration. Sans même qu'il en soit conscient. Sans même qu'il fasse des efforts.

Mais ce n'était rien par rapport au dégout qu'il m'inspirait. Que lui et sa meute m'inspiraient. Leur commerce. Leurs attitudes. Leurs coutumes. La drogue. La fierté. La viande. La violence. Le meurtre. Tout ce qui le caractérisait. Tout ce qui le définissait. Lui et tous les métamorphes.

Pourtant je revenais. Le nourrissais. Le maintenais en vie. Je lui parlais. Essayais d'animer l'humanité en lui.

Pas par choix. Ni par conviction.

Seulement parce que je devais le faire. Pour être reconnu. Pour aller plus haut. Pour pouvoir effleurer le rouage de ce système. Pour pouvoir représenter les humains. Pour que le monde arrête de nous prendre pour des moins que rien. Alors je m'occupais des tâches ingrates. Me réveillais plus tôt que les autres. M'entraînais plus tard que les autres. Je m'impliquais dans mes enquêtes. Fouillais pour atteindre ma cible. Puis la préparais. Parfois des mois. Pour qu'elle me revèlle ce que je voulais. Et que je puisse être récompensé comme un bon chien.

J'endurais tout. Les remarques des collègues. Les rires des autres espèces. Les regards affamés dans mon coup. Je relevais la tête. Mais ne bronchais pas.

Mais. Malgré tout. Malgré le fait que je soit forcé de le voir. Malgré le fait qu'il me répugnait. Malgré le fait que je ne voulais le côtoyer. J'étais un humain. Et je me sentais mal. Mal de le voir enfermer. Mal de le voir frissonner. Mal de le voir trambler de manque.

Alors je lui proposais un marché. Tout en essayant de garder une distance entre nous. De ne lui laisser que peux de choix. D'être celui qui décide. Qui le domine.

Cependant il n'en voulait pas. Et à la place d'un arrangement simple. Il m'ouvrit les yeux. À la place d'une redescente. Il me fit voir sa vision des chose. À la place d'insulte. Il me conta les disfonctionnements de ce système.

J'en connaissais. Bien sûr. Les moqueries. L'exclusion. Le racisme.

Pourtant je n'avais jamais fait attention aux bavures policières. Aux inégalités de traitement face à celle-ci. Au peu de justice qui s'appliquait.

Tout ce qu'il disait. Tout ce qu'il argumentait était vrai. Injuste. Et ignoble.

Alors je lui fis une autre proposition. Insensée. Impensable. Qu'il accepta.

Dés lors, notre relation fut moins conflictuelle. Il me livrait quelques informations. Je lui faisais part de mes recherches. J'entrais en contact avec ses subordonnés. Ses collègues. Ses amis. Je les mettais au courant de son état. De notre contrat. Faisais passer des message au loup. Entretenais les liens. Personne n'avait vraiment confiance en l'autre. Mais petit à petit, nous apprenions à nous connaître.

Chacun de nous révélait une partie de lui même. Son attachement aux personnes qui l'entourait. Sa loyauté indéniable. Sa sensibilité particulière. Ma solitude. Mes dégoûts. Mes motivations. On se livrait doucement. Mais au bout d'un jour. D'une semaine. D'un mois. À se parler. À se dévoiler. À se partager. On se supportait. On ne connaissait. On se respectait.

Cependant. Malgré ce temps passé ensemble. Malgré les progrès que j'avais pus faire. Il restait cet écart entre nous. Ce faussé creusé par des barreaux de fer. Par des mauvaises blagues. Par des collègues. On me respectait un peu plus. Mais on le rabaissait plus encore.

Il était souvent transformé. Parce qu'il était vulnérable. Nu. Blessé. Maigre. Lorsque je voyais son visage, je pouvais sentir sa fatigue. Sa crasse. Sa peine. Les métamorphes avaient besoin d'espace. De nature. De meute. Lui n'avait plus rien de tout cela. Il n'avait que le noir. De la viande congelée. Et un officier corrompu comme compagnon.

« Je ne connais même pas ton véritable nom.

– Chan. Christopher Bang Chan. »

Des mois après, il allait un peu mieux. Il mangeait plus. Il tremblait moins. Des mois après, mes supérieurs avaient enfin donné le feu vert. Ils me convoquaient dans leur bureau. Ils m'expliquaient ce qui allait ce passer ensuite. Et je transmettais tout au loup. A ma grande surprise, il acquiesça. Approuva. Sourit.

« Vas y. Dépose ton dossier. J'accepterai les répercutions. J'accepterais la prison. Si tu pouvais seulement m'accorder deux faveurs.

– Après ce que tu as fais pour moi. Bien sûr.

– Peux tu enlever les noms de mes six amis de ton rapport. »

C'était évident. La moindre des choses à faire. Après avoir compris que ce n'était que des adolescents. Que ce n'était que des enfants vulnérables. Des jeunes délinquants qu'il aidait. Qu'il protégeait comme il aurait voulu l'être quelques années plus tôt. Je laissais tout de même une trace de son camarade mort. Quelqu'un porterait peut-être avec moi le poids de nos erreurs.

Derrière ses barreaux de fer. Les joues creusées. Rosies. Les yeux vifs. Gênés. Le visage baissé. Magnifique. Il me fit part de sa deuxième requête.

« And. I hate to admit. But I'd like a night with you. »

I hate to admitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant