LES MOTS QUI BRISENT

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-Je suis navré de vous annoncer que le cœur de l'embryon s'est arrêté, votre grossesse est interrompue, nous devons procéder à l'extraction de votre utérus.

Ces mots, prononcés par la gynécologue obstétricienne, ont ébranlé tout mon être. Allongée sur son lit, j'ai senti le poids du ciel s'abattre sur moi. Cette grossesse représentait mon dernier espoir de sauver mon mariage. Quel désastre, quelle tragédie ! Qu'ai-je fait pour mériter un tel châtiment ?

Alors que la gynécologue expliquait les procédures à suivre pour évacuer l'embryon, un tourbillon d'émotions envahissait mon esprit. Je me sentais comme prise au piège dans un tunnel, attendant les échos des injures que j'avais subies de la part de ma belle-famille, qui exerçait une influence néfaste sur mon mari.

-Y a-t-il un moyen de sauver mon enfant, Docteur ? ai-je demandé en m'efforçant de me redresser.

-Malheureusement non, Madame. Vous n'en êtes qu'à 10 semaines, il n'y a aucun moyen de sauver la grossesse à part procéder à l'évacuation de l'embryon et tenter à nouveau une autre grossesse. Nous espérions que celle-ci réussirait, étant donné les traitements que vous avez suivis auparavant.

Aucun moyen de sauver ma grossesse ! Je me suis levée pour me rendre aux toilettes, vidé par le dégoût. Face au miroir, je tenais mon ventre, le petit ange dont le cœur s'était arrêté si tôt ! Mes larmes ont coulé alors que je me demandais : "Pourquoi moi ? Pourquoi lui aussi m'a-t-il abandonné ? Pourquoi ne s'est-il pas accroché à maman ? Pourquoi part-il si tôt ?

Pourtant, dès le premier jour où j'ai su que j'étais enceinte, j'avais promis à Dieu de prendre soin de lui, prête même à lui donner ma vie. Aujourd'hui, il m'a lâché la main et s'en est allé. Suis-je condamnée à ne plus porter la vie ? Ne plus sentir un être bouger dans mon ventre ? À ne plus connaître le bonheur maternel ?

Je suis habituée à me relever après chaque douleur, mais cette fois-ci, je crains que ce soit différent. Il n'y a aucun moyen de me relever. L'envie de me laisser ensevelir par la terre me traverse l'esprit. À quoi bon être en vie si je ne peux plus donner la vie ?

Prenant une profonde inspiration, je me suis rincé le visage et je suis sortie des toilettes. Je dois rester forte, comme je l'ai toujours été durant ces huit années de mariage. Je suis une guerrière, je ne vais pas abandonner si facilement. Je ne les laisserai pas gagner.

Je suis sortie de cette salle avec une nouvelle détermination. Prête à affronter encore les mots, les injures, les humiliations...

Je suis Khadija Touré, je fête mes 32 ans dans exactement deux mois ! Et je suis mariée depuis huit ans. Après un an de mariage, j'ai accouché d'une adorable petite fille qui est morte six mois après sa naissance à cause d'une méningite mal traitée. Depuis, je n'arrive pas à concevoir un autre bébé. Ce qui me vaut toutes les injures de ma belle-famille, notamment de ma belle-mère, qui me traite d'incapable et d'infertile. J'ai vécu deux belles années d'idylle avec mon mari avant que sa mère ne débarque dans nos vies pour me pourrir l'existence. Pour elle, je ne mérite pas d'être choyée, je ne mérite pas les magnifiques cadeaux que son fils m'offre, étant incapable de lui donner un héritier. Depuis, les tensions ne baissent plus dans notre ménage ! Alpha, mon mari, est partagé entre l'amour qu'il ressent pour moi et la pression que sa mère exerce sur lui.

En cette journée torride de jeudi, le soleil brille au zénith, embrasant les rues de conakry de sa chaleur infernale. Coincés dans un embouteillage sans fin entre le pont du 8 Novembre et le carrefour Donka, les véhicules peinent à avancer, tous les accès étant bloqués en raison de la visite présidentielle. Pour s'échapper , nous sommes contraints de contourner par la corniche sud de Kaloum. Mais même ces maigres routes sont barricadées. Pour une fois, je ne ressens aucune hâte de rentrer chez moi, d'affronter le regard froid d'Alpha.

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